Dans les récits de conversion, celle-ci s’apparente souvent à une mutation radicale.
Qu’en a-t-il été pour les « pères fondateurs » de la Réforme?
| par Jean Loignon |
Cliquez ici pour accéder à la série RÉTROVISEUR | Figures et moments signifiants de l’histoire protestante
Dans les itinéraires de foi, les conversions brusques fascinent, en exaltant ce moment où subitement une vie bascule, où un appel devient irrésistible, où semble naître une autre personne. Lorsque le changement d’attitude est radical, la conversion est ressentie comme un miracle : ainsi en a-t-il été de l’apôtre Paul, d’abord zélé persécuteur des premiers chrétiens, puis touché un jour vers 37 apr J.-C. sur le chemin de Damas par une foi aveuglante qui fera de lui le plus ardent propagateur et organisateur du christianisme. Plus proche de nous et dans un univers profane, l’écrivain français Paul Claudel raconta – avec quelle précision ! – avoir trouvé la foi pour toujours le jour de Noël 1886, en écoutant dans la cathédrale Notre-Dame de Paris le Magnificat, debout près du second pilier à droite en entrant. La tentation est alors vive de faire de ces moments intimes la norme d’une foi authentique et donc un objectif pour les croyants en devenir.
Qu’en a-t-il été pour les « pères fondateurs » de la Réforme, Martin Luther et Jean Calvin?
Le premier, né en 1483 en Allemagne, fut marqué par cette foi collective épeurante de la fin du Moyen-Âge. Tout jeune homme et traversant une forêt, il crut sa dernière heure arrivée quand un orage violent menaça de le foudroyer. Il promit à sainte Anne de se faire moine, s’il sortait vivant de cette intempérie. Foi ou réflexe d’une relation contractuelle et protectrice entre Dieu et l’humanité?
Devenu moine et théologien, il resta hanté par l’incertitude de son salut, jusqu’au jour où, commentant l’Épître aux Romains, il médita longuement ce verset : Celui qui est juste vivra par la foi (Ro 1,17). Plus tard, Luther relata ce moment : je me sentis renaître et il me sembla être entré par la porte largement ouverte du Paradis-même. Mais c’est seulement deux ans après en 1517 qu’il afficha ses fameuses 95 Thèses sur la porte de l’église de Wittenberg, inaugurant une démarche de rupture avec le christianisme romain qui sera définitive par son refus public de se rétracter lors de la Diète[1] de Worms en 1521.
Jean Calvin refusa toute sa vie de se mettre en exergue : ne voulut-il pas une tombe anonyme dans un cimetière de Genève pour prévenir tout culte funéraire? Et l’adjectif « calviniste » ne désigna jamais officiellement les églises qui le suivirent et qui préférèrent se dire « réformées » ou « presbytériennes ». Cette pudeur ne permet donc pas à ses biographes de déterminer le moment sensible de prise de conscience qui allait faire de lui le Réformateur. Néanmoins, quelques événements de sa vie suggèrent un parcours, celui d’un jeune homme qui construit sa foi et ses convictions.
On sait que Calvin, né en 1509 à Noyon, une cité-cathédrale de Picardie, éprouva tout jeune le poids de la confusion entre pouvoirs temporels et spirituels. Mis en cause pour sa gestion, son père – notaire de l’évêché – fut excommunié, donc socialement banni. Le jeune Jean vit donc disparaître toute possibilité de carrière ecclésiastique, à laquelle ses dons et son milieu le prédestinaient. Devenu étudiant en droit, il découvrit avec passion l’humanisme de la Renaissance et assista à Paris à la première diffusion des idées luthériennes venues d’Allemagne.
Le 1er novembre 1533 lors de la messe de rentrée universitaire, il semble avoir collaboré à la rédaction du sermon de Nicolas Cop, recteur de la très catholique Sorbonne : ce prêche est ouvertement luthérien et le scandale est énorme. C’est d’ailleurs le 15 août suivant que l’Espagnol Ignace de Loyola, témoin de l’événement à Paris, décide à Saint-Pierre de Montmartre de fonder avec quelques compagnons, une nouvelle structure pour défendre la Papauté, qui sera à l’origine de la Compagnie de Jésus, les Jésuites.
Dans ce contexte, Calvin a jugé prudent de fuir Paris. En route pour Nérac (sud-ouest français), où réside Marguerite de Navarre, sœur de François 1er et ouverte aux idées nouvelles, il s’arrête à Poitiers : là, dans un lieu nommé encore aujourd’hui « la grotte à Calvin », il célèbre, dit-on, une Eucharistie, alors qu’il n’est que laïc. Du reste, l’année suivante, il se rendra à Noyon pour résilier un bénéfice ecclésiastique, dont il jouissait pour soutenir ses études.
Le roi François 1er opte pour la répression de « l’hérésie luthérienne ». Calvin s’exile à Strasbourg et entreprend, pour dissiper ce qui lui semble un malentendu théologique, de rédiger en 1536 la première mouture de l’Institution de la religion chrétienne, qu’il dédie loyalement au roi. Ce sera, sans cesse augmentée, en latin puis en français, la somme doctrinale du calvinisme.
Ce parcours spirituel ne témoigne pas d’illuminations subites. Si elles ont eu lieu, Jean Calvin les a tues, par pudeur ou refus de se situer en modèle. Il a préféré rendre compte par ses actes de la lente et méthodique maturation d’une foi différente, dans la voie ouverte par Martin Luther.
Une leçon qui vaut pour hier comme pour aujourd’hui. Après tout, que sait-on du chemin de foi d’un certain fils de charpentier de Nazareth jusqu’à ses trente ans?
[1]Assemblée du Saint-Empire romain germanique