L'Église Unie du Canada

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La partisanerie politique et l’Église :
deux manières de vivre la démocratie

| ARTICLES ET REPORTAGES |

| Par Éric Hébert-Daly |

« Tout se fait dans la tranquillité et la prière, plutôt que sous les hurlements des partisans et au milieu des pancartes », observe le nouveau responsable des Ministères en français de l’Église Unie du Canada à la suite de son premier Conseil général.

J’ai passé 16 ans en politique. Je suis devenu membre d’un parti politique en 1992 et j’ai quitté mes fonctions comme directeur national du parti en 2008. J’ai été candidat, directeur de campagne, adjoint à un député, chef des finances, et j’ai cogné à des milliers de portes pendant cette période. J’ai aussi vu plusieurs changements de chefs. En 2011, lors du décès soudain et tragique de Jack Layton, on m’a demandé de revenir à ma famille politique pour agir à titre de directeur des élections lors de la course à la chefferie.

En 2018, j’ai été nommé responsable des Ministères en français de l’Église Unie du Canada (ÉUC), après plusieurs années à agir en tant que lobbyiste pour une ONG de conservation de la nature. Je suis entré en fonction deux mois avant le Conseil général (CG), soit le rassemblement triennal au cours duquel l’ÉUC adopte ses politiques, définit ses orientations théologiques et élit son modérateur ou sa modératrice – c’est-à-dire la personne qui agira à titre de chef spirituel jusqu’au prochain CG.

Comme vous pouvez l’imaginer, mes attentes et mon regard sur cet événement étaient colorés par mon expérience politique.

 

Un chemin du débat au consensus

En politique, nous recevons des centaines de résolutions à débattre en plénière, envoyées par les associations de circonscriptions et les regroupements au sein du parti. Ces propositions sont débattues au micro dans une grande salle et suivies d’un vote. Il y a des groupes qui font pression relativement à certains enjeux et des candidats qui se présentent pour siéger à l’exécutif et à des comités. Dans l’ensemble, il règne une grande agitation, les tables sont couvertes de dépliants, des dizaines de personnes cherchent à influencer chaque personne déléguée.

Les propositions acheminées au CG de l’ÉUC proviennent d’abord des paroisses, et passent ensuite par les autres instances de l’Église (soit les consistoires et synodes, jusqu’aux changements de structures adoptés en 2018). Ces autres instances votent sur les propositions, mais même si elles ne les appuient pas, elles peuvent les acheminer pour permettre au CG d’en discuter. Leurs réserves sont notées pour que les personnes déléguées au CG en tiennent compte, mais cela n’exclut pas la possibilité, ultérieurement, d’un vote différent du CG.

Une fois franchies ces étapes préliminaires, le Comité des affaires du CG regroupe les propositions par thèmes, puis partage le tout avec les personnes déléguées. Celles-ci sont alors appelées à voter (par Internet) sur la priorisation des thèmes dont discutera le CG. Cet exercice exige beaucoup de lectures et de préparation de la part des personnes déléguées – alors que dans un congrès politique, les personnes déléguées reçoivent souvent le cahier des résolutions quelques jours seulement avant l’événement.

Durant le CG, une période d’écoute est d’abord prévue, pour permettre aux délégués de poser des questions, l’optique à cette première étape étant simplement de clarifier les propositions. Quand les gens ont eu la chance de bien comprendre de quoi il s’agit, ils commencent à discuter en petits groupes et réfléchissent ensemble. Cette seconde étape consacrée aux discussions permet un plus grand nombre d’interventions des personnes déléguées que si les débats ne se faisaient qu’en plénière.

Les groupes de discussion font chacun un rapport, puis la volonté de l’ensemble des groupes est évaluée. Thème par thème, on passe alors en plénière, autour de résolutions parfois amendées pour tenir compte de ce qui aura émergé des échanges. Lors du vote, les décisions sont prises souvent à plus de 80 % d’appui. L’unité et la cohésion sont remarquables dans cette manière de fonctionner, ce qui n’est pas toujours évident en politique, où les divisions sont accentuées.

 

Un leadership sans campagne

La sélection d’un chef politique diffère considérablement du choix d’un chef spirituel. Au départ, les 10 personnes candidates au poste de modérateur ou modératrice en 2018 savaient qu’elles ne serviraient dans ce rôle que pour un mandat de 3 ans si elles étaient choisies. Mentionnons au passage que cette fonction peut être exercée aussi bien par des ministres que par des membres laïques de l’ÉUC. Mais c’est le processus de sélection qui me paraît surtout particulier, par rapport aux campagnes au leadership que j’ai connues.

Les personnes candidates au poste de modérateur ou modératrice doivent être appuyées par l’instance de leur région, et on offre à chacune la possibilité de se faire connaître par une biographie et un bref exposé écrit de leur vision de l’ÉUC. Ensuite, elles auront l’occasion de s’adresser de vive voix, par une courte présentation, à l’assemblée du CG. Pas de sollicitations téléphoniques, pas de fêtes ou de rassemblements pour appuyer les personnes candidates. Même pas leur propre site Web ou page Facebook pour leur « campagne »!

C’est plutôt la responsabilité des personnes déléguées de faire l’effort de rencontrer les personnes candidates lors du CG. Et après quatre jours sans campagne électorale traditionnelle, se tient un vote à plusieurs tours de scrutin jusqu’à ce qu’une personne candidate obtienne plus de 50 % des votes. Le nombre de votes obtenus à chaque tour n’est jamais dévoilé.

Ce qui m’a marqué le plus, c’est qu’au moment de l’annonce des résultats, l’assemblée reste calme. Un moment de prière et des remerciements sont dédiés aux personnes non retenues pour les tours suivants. Les délégués et déléguées ont ensuite cinq minutes pour réfléchir en silence (avec un fond de musique méditative), en restant à leur place, à leur prochain choix. Tout se fait dans la tranquillité et la prière, plutôt que sous les hurlements des partisans et au milieu des pancartes qui dansent avec les noms des candidats.

 

Au-delà de la tyrannie de l’image

Il y a en politique un élément de contrôle disséminé mais omniprésent : l’image occupe le premier plan, et les discussions captées par les caméras sont assujetties aux commentaires des médias et aux critiques des adversaires qui cherchent toujours une faiblesse dont ils pourront se servir lors de la campagne électorale. Il existe souvent un comité dont le rôle est de tenter de prévenir les embêtements et de gérer l’image et le contenu pour que le parti sorte de chaque circonstance plus fort ou moins blessé aux yeux du public.

Dans le cas de l’Église, j’ai pu constater qu’il y a moins d’inquiétude à cet égard. Il y a une véritable reconnaissance de l’Esprit de Dieu, qui soufflera à sa manière. Cela permet aux gens de dire ce qu’ils ressentent et de ne pas arriver avec des œillères ou une attitude fermée. Je conviens qu’il y a moins d’attention médiatique lors d’un CG de l’Église que lors d’un congrès d’un parti politique, mais la transparence de l’Église est remarquable.

Le produit final est bien meilleur quand nous ne nous présentons pas avec des positions coulées dans le béton et réfractaires. Quand nous sommes ouverts à l’Esprit, nous pouvons mieux réfléchir aux lacunes et aux faiblesses des propositions, pour les améliorer, les nuancer et les enrichir. Ça ne devient pas un jeu de gagnants et de perdants, mais une collaboration d’ensemble. Il s’agit parfois de mettre de l’eau dans son vin, et il y aura toujours le danger que le résultat soit timide ou fade, mais si on est à l’écoute du fond du problème à partir de plusieurs perspectives, on peut trouver des solutions intéressantes.

 

Privilégier l’écoute

Je pense que le monde politique a peut-être quelque chose à apprendre de l’Église. Une approche songée, un discernement à l’esprit tranquille, en mettant beaucoup l’accent sur l’écoute. Ça ne fera peut-être pas de la bonne télé, si on s’attend à un show hyperactif et spectaculaire, mais cela pourra nous apporter des solutions auxquelles nous n’avons jamais réfléchi. C’est clair que la prière joue un rôle important dans l’écoute – l’écoute des autres et l’effort pour entendre la voix de Dieu dans les décisions.

En 1988, lors du grand débat sur l’ouverture envers les membres et les pasteur(e)s qui s’identifient comme lesbiennes ou gais, les personnes déléguées au CG étaient conscientes du fait qu’elles allaient débattre cette question. Une majorité semblait avoir été choisie pour voter contre la proposition d’inclusion. Mais après une semaine de discussion, de prière et de réflexion profonde, le CG a pris une décision d’inclusion malgré les attentes des paroisses, consistoires et synodes qui avaient élu les personnes déléguées en vue qu’elles votent d’une autre manière. Ceux et celles qui ont vécu ce CG disent avoir eu une expérience de transformation divine.

En 2018, la question de la justice raciale a révélé avoir une importante charge transformatrice. Le thème faisait partie du cahier de travail du CG, et l’Église avait sollicité la présence d’observateurs interculturels pour assurer l’expression des personnes racisées et des voix minorisées. Le processus a finalement été ébranlé par ce que celles-ci avaient à dire, l’ordre du jour a été mis de côté en faveur de l’écoute, et une démarche en profondeur devrait en découler.

Il n’est pas si difficile de faire place à l’Esprit et de travailler fort pour l’écouter dans un moment de décision personnelle, mais dans un contexte public et transparent, en groupe, cela demeure rare et pourtant si beau à voir.

Quelqu’un m’a dit dernièrement que Dieu nous a donné deux oreilles, mais une seule bouche. C’est un bon rappel de la place que nous devrions accorder à l’écoute, à la prière et au discernement au lieu de remplir l’air avec nos mots.

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