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Grandir en tant que Noir en République dominicaine

Une statue de Bartolomé Colomb, frère de Christophe, à Saint-Domingue, capitale de la République dominicaine. Photo : Lessplay1525 / Pixabay.com

En grandissant, j’ai rarement eu des discussions sur la négritude avec mon père; pas seulement sur la négritude, mais par rapport à notre négritude. Mon père, d’origine dominicaine, n’est pas vraiment à blâmer. L’identité du Dominicain est fortement basée sur le fait d’être latino-américain : le fait de parler espagnol et d’avoir été colonisé par l’Espagne.

Cette conversation de négritude en République dominicaine et dans nos familles est, en fait, très taboue. C’est une tension omniprésente. Le colonialisme espagnol et l’impérialisme américain ont certainement créé ce sentiment d’inconfort et d’insécurité. Le désir du Dominicain d’être le plus dissocié possible de son africanité vient de la peur d’accepter son oppression qui, ironiquement, le lie directement aux autres peuples noirs d’Amérique. Cette crainte crée un désir de vouloir être « le moins noir possible ». Ainsi, le Dominicain fait passer sous le silence l’importance de l’immense influence africaine sur sa culture : sa cuisine, sa musique, ses danses et ses expressions.

Évidemment, dans un pays où il est estimé que presque 90 % de la population est de descendance africaine, cela crée un grand problème. Les conflits de mon pays d’origine avec Haïti, notre pays voisin, découlent souvent de discriminations et de problèmes raciaux. Je tiens à soutenir que ces conflits ne font que nous diviser et donc nous affaiblissent et nous distraient du vrai but : la libération économique et politique de nos peuples. Je crois que c’est essentiel pour nos familles et nos institutions d’aborder ces sujets de conversation pour nous donner une chance d’accepter nos différences raciales, et donc l’un et l’autre. Ignorer nos différences raciales n’est pas un signe de progrès.

À cause de ce traumatisme culturel, quand j’étais jeune j’ai pris beaucoup de temps à retrouver mon identité; et celle-ci a été forgée, entre autres, grâce à mes interactions avec d’autres Latinos. Malheureusement, j’ai pris conscience que j’étais plus que Latino quand j’ai été victime de racisme par d’autres hispanophones de couleur plus pâle. Ce racisme, qui retrouve ses sources dans le colonialisme espagnol, est très présent dans la société latino-américaine.

Il faut préciser que même si une personne est hispanophone et qu’elle souffre d’oppression, cette personne peut quand même opprimer une autre personne de sa communauté qui est de couleur plus foncée, que ce soit d’une façon consciente ou inconsciente. Les termes avec connotations raciales sont souvent retrouvés dans le vocabulaire quotidien et comme à travers le monde, les personnes de couleur et au teint plus foncé sont opprimées par ce langage. Même en République dominicaine, les termes qui réfèrent aux noirs ont presque toujours une connotation négative. En conséquence, l’Afro-Latino souffre d’oppression dans ses propres communautés.

Malgré sa constante bataille à réclamer sa place dans sa société, l’hispanophone noir a influencé toutes les sphères de la société latino-américaine et est un pilier important pour celle-ci. Les genres de musique et leurs danses les plus populaires – la salsa, la bachata, le merengue, la cumbia, etc. – retrouvent toutes leurs origines dans l’Afrique de l’Ouest. Le café, les plantains, le riz, les haricots noirs, les mangues, le melon d’eau, le tamarin et le manioc, qui forment une grande partie de l’alimentation de beaucoup de pays latino-américains et du monde, se sont tous retrouvés dans le continent grâce aux esclaves transatlantiques.

Je tiens aussi à souligner les contributions fondamentales des révolutionnaires afrolatinos dans la lutte contre l’esclavage et le colonialisme à travers l’histoire. Que ce soit en République dominicaine, au Venezuela, au Mexique, à Cuba, en Argentine, au Brésil et dans plusieurs autres pays, les exemples sont innombrables et les impacts sont indéniables. Malgré sa bataille contre l’invisibilité, le produit de siècles de régimes qui n’ont pas reconnu ses contributions et ses droits, l’Afro-Latino ne sera jamais invisible. Il vivra à travers sa culture pour toujours.

– Kermys Bonilla-Pontigo

Musicien et chef cuisinier, Kermys Bonilla-Pontigo habite à Laval. Il est membre de Camino d’Emaus, la seule paroisse hispanophone de l’Église Unie.

 

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