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Ma faute d’être une personne d’ascendance africaine

Demanyah Kofi Akoussah

Je ne saurai jamais expliquer pourquoi j’ai souvent fait l’objet de raillerie et de mépris parmi les autres composantes de la population humaine. Je constate avec chagrin que pour certaines personnes, même les animaux ont plus de prix et d’estime à leurs yeux que l’être humain créé à l’image de Dieu; car, quand je compare l’attention qu’elles ont pour leurs bêtes et le rejet qui se lit dans leur regard à ma vue, mon âme pleure au-dedans de mon être et j’ose accuser mon Créateur de m’avoir fait naître ici-bas. Pourrais-je choisir ma race ou le lieu de ma naissance? Pourquoi tant d’injustice sur terre? Mais après tout, je me rends compte que ce n’est pas la faute du Créateur, parce qu’Il est diversité et inclusion dans tout ce qu’il fait; mais il y a une catégorie d’êtres humains qui croient à leur seule existence dans l’univers. Jusques à quand la fin de cette ignorance?

Depuis ma jeune enfance jusqu’aujourd’hui, dans la communauté noire africaine au sein de laquelle j’ai grandi, l’hospitalité et la sympathie pour l’étranger faisaient partie des règles les plus élémentaires et automatiques de la société. Mais, mes voyages à travers le monde m’ont fait découvrir cette triste réalité que sous d’autres cieux, par exemple au sein de la race blanche, que ce soit en milieu laïc ou ecclésiastique, les valeurs sont inversées; la graine de haine semée dans les cœurs et dans les pensées contre les humains de race noire a poussé des racines difficiles à détruire; une haine érigée en système et pratiquée contre les noirs même de façon inconsciente. Hélas!

Je me rappelle un jour où j’avais pris le train avec des collègues étudiants noirs, et on se rendait au cours à l’université de Genève. Tout le monde avait trouvé une place pour s’asseoir sauf un frère venant de la Gambie. Et heureusement, il y avait un siège libre à côté d’une jeune dame blanche. Dès que le collègue noir s’est assis dans le siège qui se trouvait à côté de la blanche, cette dernière a renfrogné la mine et dit : si c’est comme ça je préfère rester debout! Le collègue avait voulu se lever et laisser le siège libre. Ce jour je lui ai dit : niet, pas question, reste là! Si elle veut se tenir debout, c’est son affaire! Puis la jeune dame s’est levée effectivement et s’est tenue debout jusqu’à destination, parce qu’elle ne voulait pas sentir la présence d’un noir à ses côtés. Comment peut-on haïr un être humain de la sorte? Je me suis dit que peut-être si je changeais de milieu, je verrais plus de tolérance. Mais à ma grande surprise, j’ai vécu le même fait au Canada aussi. J’avais pris le transport en commun OC Transpo à Ottawa, bien avant la période Covid-19. Il n’y avait plus de place, mais j’étais fatigué et je ne pouvais pas me tenir debout. J’ai eu la chance de trouver un siège vide à côté d’une blanche. Dès que cette dernière m’a vu avancer vers le siège libre, elle a aussitôt changé de mine, tout comme ce qui s’est passé à Genève; le temps de m’asseoir, on dirait qu’une guêpe l’aurait piquée. De façon énergique elle s’est levée rapidement pour se positionner contre un poteau jusqu’à destination. J’ai dit eh, donc cette maladie est universelle chez les blancs? Est-ce de la xénophobie simple, me demandai-je? Mais comme tous les passagers du bus ne pouvaient jamais être tous canadiens, j’ai compris que c’était encore du racisme qui bat son plein dans un pays inclusif qui accueille tout le monde.

Il arrive également que certaines personnes m’ignorent quand par exemple je leur demande de simples renseignements. Un mépris total de la race noire, mépris hérité de l’histoire de la traite des noirs.[1] Je pense à mon humble avis qu’il y a un problème d’éducation à la base. Il y a encore beaucoup à faire pour éradiquer ce mal. L’histoire des peuples et des races doit être revue et corrigée dans les mentalités dès le bas âge, on doit en faire après un curriculum à introduire dans les programmes éducatifs à tous les niveaux, afin que les êtres humains se respectent partout dans le monde. L’Église a joué un grand rôle dans l’élaboration et l’institution du système de comparaison des peuples et du racisme, et elle a l’impérieux devoir de contribuer à l’éradication de ces inégalités qu’elle a instaurées au nom de la Bible et du Christ.

Un petit Jésus blanc véhiculé dans toutes les cultures comme étant le fils de Dieu ne pouvait que donner l’idée de supériorité à la race blanche sur les autres, comme étant plus proche de Dieu. De même, la bulle du Pape Nicolas V du 8 janvier 1454 sur l’esclavage et la traite négrière[2] ne pouvait que creuser davantage le fossé entre les noirs et les blancs. Voici un extrait de son contenu :

« Nous avions jadis, par de précédentes lettres, concédé au Roi Alphonse du Portugal, entre autres choses, la faculté pleine et entière d’attaquer, de conquérir, de vaincre, de réduire et de soumettre tous les sarrasins (c’est-à-dire les Africains), païens et autres ennemis du Christ où qu’ils soient, avec leurs royaumes, duchés, principautés, domaines, propriétés, meubles et immeubles, tous les biens par eux détenus et possédés, de réduire leurs personnes en servitude perpétuelle, […] de s’attribuer et faire servir à usage et utilité ces dits royaumes, duchés, contrés, principautés, propriétés, possessions et biens de ces infidèles sarrasins (Africains) et païens. Beaucoup de Guinéens et d’autres Noirs qui avaient été capturés, certains aussi échangés contre des marchandises non prohibées ou achetées sous quelque autre contrat de vente régulier, furent envoyés dans les dits Royaumes. »[3]

Jusqu’aujourd’hui, nous sommes victimes des séquelles de ces animosités et barbaries. Aussi, un mensonge basé sur une mauvaise interprétation du texte biblique sur la malédiction de Cham[4] fait croire à certains que le noir ne peut vivre que sous domination des blancs. On peut consulter à profit un article dans le Dictionnaire de l’histoire sur Herodote.net sur la malédiction de Cham[5].

Que dire de plus? Je suis noir, et j’en suis fier! Je ne suis pas mendiant de l’amour fraternel, j’en ai plutôt pour tous et toutes. Si quelqu’un-e m’en offre, je rends grâce. Si une personne me déteste à cause de ma couleur, je m’en fous, je prie plutôt pour cette personne afin qu’elle soit guérie de son ignorance, et j’avance librement avec celles et ceux qui m’acceptent. Tout ce que je sais, c’est que Dieu le Créateur n’a pas de couleur, et personne ne l’a jamais vu. Il est AMOUR. Et quiconque aime est de Dieu! Soyons donc les imitateurs du Christ qui dans son amour demeure impartial. En fin de compte, j’aimerais poser une question aux négrophobes : quel choix feraient-ils/elles si je suis le seul médecin ou chirurgien à l’urgence lors de leurs crises? Refuser les soins et mourir parce que le médecin est black?

– Demanya Kofi Akoussah

Né à Tsiviépé (sud Togo), Demanyah Kofi Akoussah est titulaire d’une maîtrise en théologie (relation d’aide), d’un maîtrise d’études avancées en œcuménisme de l’université de Genève et d’une Licence professionnelle en gestion des ressources humaines. Il fut directeur des ressources humaines de son église avant d’être admis au sein de l’Église Unie du Canada. Il a des compétences en paix et non violence, interculturalité et relations interreligieuses.

Les opinions exprimées dans les blogues sont celles de l’auteur et ne représentent pas nécessairement le point de vue de l’Église Unie du Canada.

[1] La bulle du Pape Nicolas V qui autorisa l’esclavage : document original avec vidéo explicative; consulté le 11 décembre 2021.

[2] http://www.gauchemip.org/spip.php?article14171, consulté le 11 décembre 2021

[3] https://actucameroun.com/2017/08/21/la-bulle-du-pape-nicolas-v-qui-autorisa-lesclavage-document-original/, consulté le 11 décembre 2021.

[4] Bible, Genèse chapitre 10.

[5] https://www.herodote.net/Cham_malediction_de_Cham-mot-435.php, consulté le 11 décembre 2021.

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