Consacré pasteur il y a quelques mois, Éric Hébert-Daly s’interroge avec nous sur le choix de s’afficher ou non comme pasteur au moyen d’un symbole chargé d’histoire et qui laisse peu de gens indifférents.
Quelles réactions et quelles conversations une foi visible peut-elle, aujourd’hui, susciter?
| par Éric Hébert-Daly |
Le 3 octobre 2020, j’ai été consacré au ministère après plusieurs années d’études, des stages pratiques et beaucoup de soutien d’amis et de collègues. Une cérémonie de consécration (aussi connue comme une célébration de ministère ou une ordination) en temps de pandémie a rendu les choses intéressantes, mais le tout s’est produit avec distanciation, diffusion par Internet et le port de masques et de gants. Une réalité assez loin de ce qui était dans mon imaginaire lorsque j’ai commencé la longue route pour répondre à l’appel de Dieu, hélas…
L’Église Unie du Canada tient beaucoup à l’idée que tout le peuple de Dieu ait à sa portée une « œuvre sacrée », une vocation particulière pour laquelle chaque personne est équipée à sa façon. Au sein de l’Église, il y a très peu de choses que les laïques ne peuvent pas faire et qui seraient réservées aux seuls pasteurs et pasteures. C’est le cas de la célébration des sacrements de l’Église Unie (la communion et le baptême), ainsi que des mariages reconnus pas l’Église et l’État1. Le port du col romain – non obligatoire – est une autre pratique susceptible de nous distinguer des personnes laïques.
Le jour de ma consécration, j’ai porté ma chemise et mon col romain pour la première fois. Ce ne sont pas tous les pasteurs et pasteures qui font ce choix, et pour de bonnes raisons. Je vais vous expliquer ce qu’il représente à ce moment-ci pour moi, tout en réfléchissant avec vous au type de présence que je souhaite avoir, comme pasteur, dans le monde.
Des curés d’antan aux manifs d’aujourd’hui
Nous vivons dans une société qui a encore des séquelles de son expérience d’Église, depuis une époque où la foi chrétienne tendait vers le contrôle et le dogme plutôt que vers la vie et l’amour. Le col romain contient un souvenir néfaste pour certains, particulièrement pour ceux et celles qui ont vécu le temps d’avant la Révolution tranquille. Aujourd’hui, plusieurs hommes d’un certain âge qui sont pasteurs n’ont pas le goût de porter le col, car ils ne veulent pas véhiculer la charge historique et les comportements associés à cette tenue vestimentaire.
Au sein de certaines traditions, le col romain est un symbole hiérarchique par lequel une catégorie de religieux sont « mis à part » et vus comme jouant un rôle plus important que les laïques, avec une autorité et une vision supérieures à celles des autres. Ce signe religieux indique alors que les pasteurs détiennent un lien privilégié avec Dieu et, même, qu’il faut passer par eux pour être en lien avec Dieu. Ce système de valeurs est très éloigné de la théologie de l’Église Unie, mais le fait qu’il soit ancré quelque part dans la culture québécoise et qu’il se lie à des préjugés peut porter à des malentendus. Des pasteurs vont s’abstenir de porter des habits religieux pour cette raison.
Du côté des pasteures, c’est une toute autre chose. Plusieurs d’entre elles portent le col romain sans hésitation, surtout parmi les plus jeunes. Le fait qu’on les aperçoive ainsi régulièrement sur la scène publique semble ouvrir un dialogue avec des gens qui sont étonnés de voir une femme exercer ce rôle au sein d’une Église – et cela devient du coup pour eux une occasion d’apprendre que l’Église Unie a été à l’avant-garde à cet égard2. Bref, le port du col romain peut devenir un symbole d’émancipation pour les femmes, qui ne sont pas aussi fréquemment assujetties aux références rétrogrades liées à l’image d’un homme blanc d’un certain âge…
Au sein de l’Église Unie, il existe un moment où presque tous les pasteurs et toutes les pasteures portent le col romain : les manifestations. Oui, avec une longue culture de présence active devant des enjeux de justice et de paix, ainsi que lors de moments de prière et de deuil collectif, les cols romains sortent du placard pour clairement afficher la volonté de l’Église de se faire entendre dans la société séculière!
Alors, quelle sera mon approche?
Je suis un homme, pas jeune mais pas très âgé. Si je porte le col romain au quotidien, comment me percevront les gens pour qui l’image du prêtre évoque de mauvaises expériences? Deviendrai-je une cible pour les personnes qui auront des réflexes agressifs? Est-ce que mes habits deviendront un empêchement ou un privilège – dont je ne veux pas – quand je me présenterai dans un resto, un magasin ou un service public?
Je suis fier de ma foi, et je n’ai pas peur de l’afficher. Je constate aussi que je suis pasteur dans un milieu très laïc, dans une société qui s’interroge et qui est souvent à la recherche du sens de la vie. Est-ce que la visibilité de mon col romain pourrait ouvrir des portes, inviter à la discussion et offrir à l’ensemble de la communauté une occasion de parler? Est-ce que cela m’amènerait même à apporter un soutien pastoral dans des situations de la vie courante, auprès de personnes qui voudraient interagir avec moi en ce sens, même si elles ne sont pas membres de mon Église?
Je crois, de plus en plus, que je serai un des rares pasteurs de l’Église Unie du Canada qui portera son col romain plus fréquemment que simplement aux manifestations (mais là aussi bien sûr!). Lors de ma consécration l’automne dernier, on a prononcé ces mots : « Au nom de Jésus le Christ, chef de l’Église, je déclare Éric Hébert-Daly ordonné au ministère de la Parole, des Sacrements et des Soins pastoraux au sein de la sainte Église catholique. »
Alors, vous allez remarquer que je ne suis pas ordonné à l’Église Unie du Canada. Je suis consacré au ministère de l’Église universelle (le sens du mot « catholique » dans cette utilisation). Bien que je sois payé et employé par l’Église Unie du Canada, mon ministère dépasse les limites de mon emploi strictement défini. Être pasteur indique une orientation vers le monde entier.
En portant mon col romain (pas tous les jours, mais assez souvent), je crois m’ouvrir à ce monde et aux discussions fructueuses, ainsi qu’aux réponses négatives et pleines de souffrance qui pourraient m’être adressées.
En portant mon col romain (pas tous les jours, mais assez souvent), je crois m’ouvrir à ce monde et aux discussions fructueuses, ainsi qu’aux réponses négatives et pleines de souffrance qui pourraient m’être adressées. J’affiche que je suis ouvert à tout ça, pour le meilleur et pour le pire, tout en sachant que si j’ai besoin de répit, je peux toujours porter un chandail ou une autre chemise. Je prendrai alors un sabbat, ce qui est nécessaire pour nous tous.
Vous m’en reparlerez l’année prochaine! J’imagine que j’aurai eu plusieurs expériences qui m’auront amené à une réflexion plus profonde sur la question. Je me relirai dans un an pour voir si ma perspective aura changé!
Et d’ici là, si vous me croisez avec mon col dans la rue, à l’épicerie, dans un café ou sur les réseaux sociaux, n’hésitez pas à venir converser un moment avec moi!
- La célébration de funérailles, les soins pastoraux, le leadership au sein de l’Église et la vaste majorité des autres rôles peuvent être accomplis par n’importe quelle personne croyante. Même les sacrements peuvent être, de façon temporaire, être administrés par une personne désignée par un conseil régional de l’Église dans des cas particuliers.
- C’est 1936, alors que les femmes n’avaient pas encore le droit de vote au Québec, que l’Église Unie ordonnait Lydia Gruchy, une première femme au ministère pastoral.
J’avoue que le Français républicain et laïque que je suis a sursauté quand il a vu un col romain porté par une pasteure récemment ordonnée, en l’occurrence Joëlle Leduc que je salue au passage, et ce dans un pays qui a souffert particulièrement d’un cléricalisme dominateur. Est-ce que ta riche argumentation, cher Eric, suffira à désamorcer les malentendus ? Puis-je suggérer le compromis d’une couleur autre que le noir pour souligner ce signe visible de ton ministère ?
Bonjour Éric, comment servir et être pleinement présent et disponible dans l’anonymat de vêtements séculiers? Comment être accessible pour l’autre et démontrer son ouverture en portant un signe religieux aussi visible et chargé de sens? Comment communiquer à l’autre sa présence et sa foi dans le silence de l’absence de signe permettant l’identification sans gêne ? Peut-être un début de réponse est dans l’humilité totale et ouverte, dans l’attitude tournée vers les besoins de l’autre, dans la recherche constante de la volonté de Dieu et non de la mienne, de la tienne ou de celle des autres. Essayer la fonction avec ou sans et ce, , dans des circonstances différentes. Écouter ton coeur et tes sentiments , selon ta personnalité et tes dons, observer les réactions des gens qui seront à ta rencontre et évaluer les résultats tangibles obtenus. Ton discernement, inspiré par l’Esprit d’amour et de service, saura te guider, j’en suis certain. Merci pour tes réflexions qui nourrissent les miennes sur comment être visibles et utiles, comment témoigner, comment aider les autres dans la foi, comment être vraiment présents, et ce, si nous demeurons invisibles… Dans l’amour et l’humilité peut-être…
Je ne peux pas voir un col romain ! Même en peinture ! Je ressens cela comme une agression.
Triste que des pasteurs de l’église unie du Canada en porte un !
Soyons le levain dans la pâte !
Un ex catholique devenu protestant.
Très intéressante ta réflexion Éric. Tu tiens compte de de l’histoire chargée du passé…La réalité des hommes et des femmes et ton choix. Hâte de lire ton bilan dans un an.
Certes, le débat mérite une place parce que le port du col romain est chargé de considérations historiques , sociales, voire politiques.
Personnellement, je ne considère pas le port du col romain comme un atour foncièrement lié à la fonction de pasteur. Dans la société civile, les personnes qui jouent un rôle actif sur le plan professionnel comme les juges, les avocats, les médecins, les policiers, les pompiers, etc. portent les vêtements distinctifs de leur fonction seulement lorsqu’elles “sont en devoir”. Est-ce qu’un.e pasteur.e est constamment en devoir? Est-ce que l’analogie tient la route? Est-ce que l’identité du pasteur ou de la pasteure tient à un signe extérieur?
Questions qui méritent considération et vous, monsieur Hébert-Daly, mettez la table pour une poursuite de la “polémique”.
Je vous souhaite de vivre votre ministère dans la sérénité et la joie pour le plus grand bénéfice des personnes qui auront le plaisir de vous côtoyer.
Ma réflexion m’a amené beaucoup plus loin. J’ai été ordonné prêtre dans l’Église catholique en 1952 et à ce moment-là nous portions non seulement le col romain mais aussi la soutane… Mes lectures, mes expériences de vie, le Concile et mes réflexions m’ont amené à la conviction que même la distinction entre laïcs et clercs devrait disparaître. Devant Dieu, nous sommes tous frères et soeurs dans la foi. Un tout petit signe devrait suffire pour identifier ceux à qui la communauté des croyants et ses chefs confient le soin de les guider vers une foi et une Sagesse plus pleines. En 1972, j’ai quitté le clergé mais je voulais rester au service de l’Église comme “presbytre”, ce qui était évidemment impossible. La démission de Benoit XVI m’a prouvé que tous ces postes sont des “services”… Et les reproches que fait souvent le pape François au cléricalisme me convainquent encore plus que tous les charismes devraient être reconnus, pas seulement celui de la gouvernance. À ma connaissance, ni saint Pierre ni saint Paul n’ont porté de chasuble, de mitre ou de col romain.