En ce 21 juin, Journée nationale des peuples autochtones, Aujourd’hui Credo rend hommage aux survivantes et aux familles des Premières Nations qui ont témoigné publiquement, lors des audiences tenues à Maliotenam et à Montréal, devant l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées.
Des résumés assez détaillés de ces témoignages sont réunis au chapitre 4 du Rapport complémentaire Kepek-Québec déposé par les commissaires.
Que ces récits au-delà des épreuves inspirent des gestes de reconnaissance et de guérison! Qu’ils nous aident à vaincre le cynisme, l’impuissance et l’indifférence, pour établir des relations justes et apprendre à vivre ensemble!
Gardons à l’esprit leurs histoires :
Celle d’Adèle V.-B., dite Adèlous, relatée par sa mère et sa sœur. Adèlous a laissé derrière elle le souvenir d’une jeune fille de 17 ans pleine de projets et de rêves. Un soir, elle n’est pas rentrée. Retrouvée inanimée avec des marques de coups, elle est morte dans des circonstances nébuleuses. L’enquête sur son décès paraît bâclée, des preuves sont éliminées. La famille cherchera en vain de l’aide psychologique. La communauté innue garde vivante sa mémoire.
Celle de Rose-Ann B, femme crie de Waskaganish, relatée par sa sœur et ses enfants. Le corps de Rose-Ann a été retrouvé sans vie à Val-d’Or neuf jours après sa disparition, en 1991. Ses proches avaient effectué seuls plusieurs recherches, avec peu d’aide de la police. Une vie marquée par des agressions sexuelles et l’exclusion. Des enquêtes en 1991 et en 2017 ne mènent à aucune accusation. Le fils de Rose-Ann a ressenti de la colère à l’égard de sa communauté. La famille a récemment travaillé avec le Conseil Cri de la santé et des services sociaux pour développer un plan de soutien.
Celle d’Éliane H.-K. et de Nathalie H., relatée par celle-ci. La seule des deux sœurs de Pessamit à avoir survécu témoigne du climat de violence et des abus sexuels qui l’ont menée à l’alcoolisme, puis de l’aide psychologique qu’elle est parvenue à obtenir. Éliane, émigrée en Abitibi, a quant à elle été assassinée par son mari. Cet événement incite Nathalie à persévérer dans sa démarche thérapeutique et à s’éloigner de la violence. Elle rêve d’aller parler dans les communautés autochtones et de donner des conférences à ce sujet pour aider les autres.
Celle de Jacqueline L., relatée par sa sœur et ses enfants. Fille d’une mère autochtone qui a dû fréquenter les pensionnats et d’un père francophone qui s’avérera pédophile, Jacqueline a mis fin à ses jours après une vie marquée par la violence intergénérationnelle. Le déroulement du procès contre son père pour abus sexuel lui fait perdre confiance dans le système judiciaire. Sa sœur Tess qui a cheminé en thérapie ne parvient pas à l’aider. Son départ laisse ses proches avec un profond sentiment d’injustice et de manque. Ses enfants estiment important d’éduquer la population pour aller au-delà des préjugés et des stéréotypes. Il faut selon eux informer les gens au sujet du génocide qu’ont vécu les Autochtones, mais aussi de la beauté de leur spiritualité.
Celle d’Adrienne A., relatée par elle-même. Née à Kitcisakik d’un père chasseur-trappeur et d’une mère au passé difficile, cette femme anishinaabe a grandi dans une grande pauvreté. Il n’y avait pas d’école dans sa communauté, et il lui a fallu se séparer de sa famille pour étudier. Adulte, au fil de diverses expériences, elle est devenue Cheffe de sa communauté. Son passage en politique a été difficile, et elle affirme y a voir vécu beaucoup de violence psychologique. Elle déplore la désintégration de sa communauté et place des espoirs dans la solidarité entre femmes.
Celle de Lauréanna E., relatée par ses parents. En 1973, âgée environ d’un mois et demi, cette petite fille atikamekw de Manawan a été évacuée par avion à l’hôpital de Joliette sans être accompagnée par l’un de ses parents. Ceux-ci ne l’ont jamais revue vivante. Les circonstances de son décès n’ont jamais été clarifiées. Viviane et Armand souhaitaient ramener leur bébé à Manawan pour l’enterrer selon leurs rites et coutumes, mais cela leur a été refusé. À ce jour, ils n’ont toujours pas réussi à obtenir un certificat de décès. Qu’est-il vraiment arrivé à Lauréanna?
Celle de Déborah E., relatée par elle-même. Enceinte de quatre mois, cette femme innue originaire de Matimekush-Lac-John était simple témoin d’une bagarre quand elle a été arrêtée et incarcérée par des policiers de Schefferville. Elle se réveille alors dans une cellule en constatant qu’elle a été violée, et pense bien avoir été droguée dans ce but par un policier. Elle garde ce secret pendant 37 ans, tout en vivant une profonde colère. Un reportage sur la situation des femmes autochtones l’incite à briser le silence. Elle reçoit le soutien d’une psychologue de la communauté et d’une amie, mais faute de preuves, on ne donne pas suite à sa plainte au SPVM. Aucune aide supplémentaire ne lui a été offerte.
Celle d’Alma et d’Elizabeth M., deux sœurs naskapies de Kawawachikamach, relatée par elles-mêmes. À une époque où Alma consommait régulièrement de l’alcool et de la drogue, elle s’est vu retirer la garde de ses enfants. La petite Charlotte est placée dans une famille d’accueil, une situation qu’Alma accepte mal. Elle tente à répétition de voir sa fille, et un jour on découvre que cette dernière a été violée puis assassinée par le fils de la famille d’accueil. Les deux sœurs vivent un deuil difficile, mais le souvenir de Charlotte leur donne la force de ne pas lâcher. Elles subissent par ailleurs du harcèlement et des gestes déplacés de la part de policiers.
Celle de Tony et d’Emily Germaine R., relatée par leur sœur Françoise. Ces enfants d’une famille algonquine ont disparu tour à tour après avoir été hospitalisés, à la fin des années 1950. Tony a été déclaré mort, mais les parents ne l’ont jamais revu et n’ont pu obtenir de certificat de décès. Ils n’ont pu savoir ce qu’il était advenu de leur autre enfant. Celle-ci n’a été retrouvée que 30 ans plus tard, lourdement handicapée, et a pu finir ses jours parmi les siens. Grâce à la persévérance des membres de la famille, et avec l’aide d’une journaliste, les dossiers médicaux de Tony et d’Emily ont été retrouvés. Ces renseignements donnent à penser que des expériences médicales ont été faites sur eux. Françoise souhaiterait que le gouvernement demande pardon aux nombreuses familles dont les enfants ont disparu dans les hôpitaux. Elle réclame pour celles-ci plus de justice et d’humanité.
Celle de Carleen M., relatée par sa sœur Cheryl. Cette femme mohawk qui vivait une grande détresse provoquée par la séparation d’avec son conjoint est disparue en ne laissant qu’un message où elle disait qu’elle reviendrait le jour même à midi. La famille a signalé sa disparition à la police après 48 heures, mais a eu l’impression que celle-ci mettait peu d’effort dans la recherche. Le corps de Carleen a été retrouvé sept semaines plus tard, dans une forêt qui devait pourtant avoir déjà été fouillée. La police d’Akwesasne a conclu au suicide, mais la famille n’a cessé d’entretenir des soupçons à l’endroit de l’ancien conjoint de Carleen. La lumière n’a jamais été faite sur les circonstances de sa disparition, qui a engendré beaucoup de douleur. Cheryl souligne l’importance de regagner la fierté culturelle pour cheminer vers la guérison.
Celle de Kimberley N. , relatée par son arrière-grand-mère Anastasia. De son vrai nom Natah Nuna, cette femme innue a obtenu la garde de Kimberley parce qu’il y avait beaucoup de consommation dans le milieu où elle grandissait. Alors qu’elles avaient emménagé à Québec, l’adolescente sort un jour chez un ami et doit rentrer dans la soirée en autobus. Sans nouvelles au moment prévu, son arrière-grand-mère part à sa recherche, jusqu’au terminus. Des policiers sur place ne la prennent pas au sérieux et lui donnent même une contravention pour flânage. La police persistera par la suite à traiter le cas comme une fugue. Kimberley est retrouvée six semaines plus tard. Séquestrée dans un appartement, elle avait été agressée sexuellement, blessée, torturée et humiliée. L’agresseur a d’abord écopé de quatre mois de prison, mais Kimberley a contesté cette peine, qui a été portée à cinq ans après un pénible processus judiciaire. Elle conserve un sentiment d’injustice et des séquelles importantes de son agression, et n’a jamais reçu d’indemnités du programme d’indemnisation des victimes d’actes criminels (IVAC).
Celle de Kathleen, relatée par son fils et sa sœur. Les enfants de Kathleen ont toujours cru que leur mère, morte à 43 ans en 1967, s’était noyée. Récemment, après avoir gardé ce secret durant toutes ces années, leur tante Beatrice leur a révélé que la police avait conclu que Kathleen avait été assassinée. Comme les parents de Kathleen ne parlaient que le cri, Béatrice avait servi d’interprète lors de la visite des policiers. Les parents n’avaient pas voulu poursuivre alors l’enquête. Maurice a eu très mal en apprenant la vérité, mais aujourd’hui, malgré leur peine, lui et sa tante souhaitent honorer la mémoire de Kathleen. Maurice est porté par la joie de ses enfants.
Celle d’Anne-Marie J., relatée par ses enfants et son frère cadet. Cette Innue née en forêt a disparu en 1958, à l’âge de 23 ou 24 ans. Ses enfants se souviennent d’elle comme d’une femme forte. Le jour de sa disparition, elle était partie trapper dans un territoire à proximité d’un camp de bûcherons. Des traces laissées dans la neige permettent de supposer qu’elle a été embarquée dans un traîneau. Un enfant qui l’accompagnait a été découvert mort. Le corps d’Anne-Marie n’a jamais été retrouvé. La famille pense qu’elle a été agressée et tuée, mais que la police n’avait pas d’intérêt à élucider la disparition. Des Innus ont voulu mener des recherches dans le camp des bûcherons, mais l’accès leur a été interdit. Par peur des représailles et des conflits, le père d’Anne-Marie n’a pas insisté. Ses enfants ont été adoptés par différentes familles et demeurent marqués par l’histoire de leur mère. Deux de ses filles sont des militantes et considèrent qu’elles tiennent leur fougue de celle-ci.
Celle de Lise J., relatée par elle-même. Originaire d’Uashat, Lise a vu sa mère qui ne parlait qu’innu être arrêtée par la police parce qu’elle tentait d’empêcher le retour au pensionnat de son fils qui y avait été agressé par un prêtre. Se sentant coupable, Lise préserve pendant des années le secret des agressions qu’elle a subies elle aussi, y compris un viol par un policier. Les dénonciations des femmes de Val-d’Or envers des policiers font resurgir ce souvenir, et elle choisit cette fois de dénoncer son agression publiquement. Au lieu de faire une plainte policière pour son cas, elle décide alors de consacrer son énergie à écouter et à accompagner les nombreuses filles et femmes qui réclament son soutien. Sa communauté est divisée à ce sujet, et elle résiste aux pressions qui tentent de la culpabiliser pour la faire taire.
Celle de la communauté innue de Pakua Shipi, relatée par un groupe de ses membres. Entre les années 1950 et 1970, cette communauté a subi la très grande emprise d’un missionnaire, le Père Joveneau, et plusieurs événements associés à celui-ci la marqueront à jamais : déportations et promesses non tenues, attouchements sexuels, disparition d’enfants hospitalisés avec interdiction pour les parents de les accompagner, non-accès aux dossiers médicaux. Celles qui sont là pour en parler voient un lien entre ces traumatismes et les problèmes de consommation qui affectent des membres de cette communauté. La perte de confiance envers les milieux hospitaliers fait que plusieurs hésitent maintenant à s’y faire soigner. Les familles espèrent que cette histoire soit reconnue et que de l’aide et des services soient offerts aux survivantes et survivants.
Celle de la communauté innue de Unamen Shipu, relatée par un groupe de ses membres. Des Innus originaires de Pakua Shipi arrivent à Unamen Shipu (La Romaine) au début des années 1960 avec le Père Joveneau, qui avait organisé leur déportation. Ils n’y trouvent pas les conditions de vie promises. Le religieux cherche à contrôler la vie des Innus, les policiers tuent plusieurs chiens et le gouvernement refuse d’aider ceux qui décident de retourner à Pakua Shipi. En plus des attouchements sexuels par le Père Joveneau, les enfants subissent la violence des religieuses responsables de leur éducation. Il existe aussi des cas d’enfants hospitalisés qui disparaissent. Les valeurs culturelles innues sont dénigrées. L’estime de soi est atteinte. Les impacts intergénérationnels sont observables aujourd’hui, quoique des membres de la communauté ont fait un cheminement thérapeutique par rapport aux traumatismes. Les familles veulent être écoutées aidées et obtenir des réponses.
Celle de Bébé Maxime, de Bébé Pierrette, de Bébé Alice et de Bébé Boivin relatée par des membres de leurs familles respectives. Maxime, Pierrette, Alice et bébé Boivin ont eu des destins semblables. Nés entre 1954 et 1964, tous étaient les enfants de parents atikamekw. Hospitalisés à la naissance ou en très bas âge dans des établissements hors de la communauté, à La Tuque, Québec ou Montréal, ils y seraient, selon les autorités allochtones, décédés. Cependant, les familles ne peuvent savoir avec certitude si leur enfant est réellement décédé ou s’il a été confié par l’État à une nouvelle famille. Les familles souhaitent que leurs histoires soient entendues et veulent connaître la vérité.
Celle de Jenny R., relatée par elle-même. Jenny est née à Uashat et a subi plusieurs actes de violence au cours de sa vie, d’abord en famille d’accueil, puis de la part de policiers. Elle a essayé à plusieurs reprises de se sortir du cycle d’abus et de consommation d’alcool, mais les coups durs se sont succédé dans sa vie et celle de sa famille. Elle considère qu’elle n’a pas eu accès aux mêmes services que les Allochtones quand elle a eu à prendre soin d’un de ses fils atteint d’une maladie rare, maintenant décédé. Aujourd’hui, elle aimerait que les services sociaux fournissent une aide adéquate à sa famille. Elle a un autre fils qui vit auprès d’elle, mais dont on menace de lui enlever la garde.
Celle de Marie-Paul P., Thérèse F. et Julie-Anna Q., relatée par leurs proches. Cette histoire a fait cinq victimes autochtones, dont trois femmes : Marie-Paul, encore adolescente, sa tante Julie-Anna et Thérèse. Le 26 juin 1977, le groupe est monté à bord d’une voiture où se trouvaient un conducteur et son passager allochtones. Le rapport d’enquête a conclu que le chauffeur avait perdu le contrôle et que l’auto avait plongé dans la rivière, entraînant dans la mort les passagers qui se trouvaient à l’arrière. Les observations des proches des victimes contredisent cette version, et ceux-ci demeurent convaincus qu’il ne s’agissait pas d’un accident. Quarante ans plus tard, c’est toujours difficile pour les parents et amis de vivre avec ce souvenir et dans le doute. Les proches aimeraient connaître la vérité.
Celle de Pauline C., relatée par sa sœur cadette. Vivianne n’a jamais connu sa sœur aînée et première enfant de leurs parents, Julie-Anne et Pierre. Celle-ci serait décédée à l’hôpital de La Tuque, quelques mois après sa naissance en 1957. On avait dit aux parents que leur fille était malade et devait demeurer hospitalisée, bien que la famille n’ait remarqué aucun signe de maladie chez l’enfant. Ce n’est que lorsqu’ils sont retournés à l’hôpital pour prendre des nouvelles qu’on leur a annoncé que cette dernière était morte entre-temps, alors que personne n’en avait informé la famille. Les parents n’ont jamais cru que leur fille était décédée. Julie-Anne est morte en 2002 sans jamais avoir pu savoir ce qui s’était vraiment passé. Le père de Pauline, toujours de ce monde, veut que ses enfants continuent les recherches pour comprendre ce qui est arrivé à sa fille.