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Suis-je injuste envers toi?

Extrait d’une allocution de la pasteure Marie-Claude Manga à l’occasion du quatre-vingtième anniversaire de l’ordination de Lydia Gruchy sur la vie et le travail des pasteures dans l’Église Unie.

Marie-Claude Manga.

Je suis née dans une famille de huit enfants : quatre garçons et quatre filles. Je suis la deuxième des enfants, et l’aînée des filles. Mon père a toujours encouragé ses enfants, garçons et filles, à étudier, et leur a donné les mêmes possibilités. Pour m’encourager dans mes études, mon père me répétait que j’étais une personne à part entière, et que rien ni personne n’avait le pouvoir de m’arrêter dans ma lancée. Pour mes parents, toutes les occasions étaient propices à m’exposer à différents défis. Papa m’appelait pour me faire entendre une voix féminine à la radio et me disait que moi aussi je pouvais accomplir de grandes choses, comme devenir journaliste.

J’ai été baptisée par mon grand-père, qui était un pasteur baptiste. Malgré tout, mes parents n’ont pas hésité à m’envoyer dans un pensionnat dirigé par des religieuses catholiques pour que je reçoive une bonne éducation. À l’école catholique, j’ai été obligée d’être baptisée de nouveau. Cela n’a pas offensé mes parents, qui m’ont encouragée à le faire, parce que pour eux, Dieu ne préférait pas une religion à une autre.

Ce sont avec ces valeurs que je me suis retrouvée au Canada, avec ma fille âgée de quatre ans, pour poursuivre mes études en travail social. Je travaillais en tant que travailleuse sociale lorsque j’ai été appelée à servir Dieu. Ensuite, les défis se sont succédé.

Je me souviens des situations difficiles que je n’avais jamais vécues auparavant et auxquelles j’ai fait face dans ma paroisse en tant que femme noire et pasteure francophone dans un milieu rural en majorité anglophone. Je me rappelle le jour où je me suis présentée au conseil d’une paroisse. La première question qu’on m’a posée est : « Qu’est-ce que vous faites ici? » Alors que je répondais du mieux que je le pouvais dans mon anglais limité, un des membres du conseil m’a regardée avec dédain et a déclaré d’une voix forte, sans retenue : « Je ne sais pas ce que nous avons fait à Dieu pour mériter ça! »

Je me souviens de la soirée où je me suis rendue au chevet d’un paroissien. Allongé sur son lit, l’homme regardait l’émission de Vision Mondiale. Je suis entrée dans la pièce et lui ai dit bonsoir. Comme réponse, il a augmenté le volume afin d’attirer mon attention sur l’écran. Après quelques minutes, il m’a demandé : « Qu’est-ce vous faites ici? Est-ce que vous me visitez parce que j’ai de l’argent? »

J’ai répondu : « Non, votre argent ne m’intéresse pas. Je suis votre pasteure. À vrai dire, j’ai été nommée pasteure de votre paroisse. » Il m’a regardée et s’est mis à rire. Sa femme était consternée et gênée, mais je l’ai empêchée d’intervenir. Plus tard dans la soirée, elle m’a appelée pour s’excuser. J’ai pris le temps de l’écouter car je voulais la rassurer.

Le dimanche suivant, j’ai visité ce frère et j’ai constaté que sa santé se détériorait. J’ai continué de le visiter un jour sur deux. Pendant près de trois semaines, j’ai prié et j’ai chanté avec sa femme pendant que son mari regardait la télévision. Il ne voulait rien savoir de moi, mais j’ai poursuivi mes visites. Un dimanche, j’ai apporté la communion au centre d’hébergement et la lui ai offerte. Il m’a ensuite demandé de chanter un hymne particulier avant de partager la communion. Comme vous pouvez l’imaginer, je me suis sentie pleine de gratitude.

Lors de ma visite suivante, il était seul et avait faim. Sa femme, qui le faisait généralement manger, était en retard. Le personnel avait démissionné parce qu’il était désagréable avec lui. Il essayait de manger, mais n’y parvenait pas. Debout près de son lit, je l’ai regardé pendant quelques minutes barbouiller son visage de nourriture. Je me suis approchée du lit et lui ai tendu ma main en silence. Il a déposé la fourchette dans ma main sans que je lui demande et en grande partie sans résistance. Ce moment a été marquant pour nous deux, dans nos regards, nos cœurs et nos mains. J’ai essuyé son visage puis lui ai donné lentement à manger. Pendant que je le faisais manger, je me suis souvenue du passage de la Bible dans lequel le Christ nous dit : « J’étais malade et vous m’avez visité… ». Comment pouvais-je rester indifférente à cet homme sans défense lorsque Dieu me donnait la possibilité de consolider notre relation et de prendre soin de son fils bien-aimé?

Je me souviens du jour des funérailles de ce frère dans le Christ. Au cimetière, au moment où je proclamais ses louanges avant les funérailles, je me suis penchée pour faire le signe de la croix sur le cercueil juste au moment où il a été signalé à quelqu’un de descendre le cercueil dans la fosse. Je me suis relevée juste à temps pour éviter de tomber sur le cercueil. Indignée, la veuve a demandé qu’on arrête de descendre le cercueil pour que je puisse poursuivre le service. Deux semaines plus tard, elle m’a invitée à boire un café chez elle et m’a demandé : « Comment faites-vous? »

Qui que nous soyons dans l’Église de Dieu, nous sommes appelés à prendre soin de son corps en suivant son parcours en compagnie de l’Esprit Saint tel que promis. Pour les disciples du Christ, le pardon n’est pas un choix, mais une obligation, un mode de vie. Si nous nous demandons comment pardonner à ceux qui nous ont blessés, nous devons nous rappeler les mots du Notre Père que le Christ nous a lui-même enseignés : « Pardonne-nous nos offenses, comme nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensés ». Bien sûr, je n’oublie pas, mais je pardonne.

En agissant ainsi, nous porterons tous et toutes la lumière éclairant le monde sur l’amour que nous recevons de Dieu, quels que soient notre identité de genre, notre race, notre âge, notre sexualité, notre classe, notre compétence, ou notre langue. C’est la raison pour laquelle j’ai refusé d’abandonner mon appel. J’ai refusé de prêter attention à toute la méchanceté et aux incompréhensions auxquelles je faisais face. Encore à ce jour, je ne m’explique pas pourquoi je n’ai pas trébuché et fui. Je suis néanmoins sûre que l’assurance qui était en moi lorsque je servais Dieu en servant le peuple de Dieu m’est venue de l’Esprit Saint. Toute ma provision repose sur cette table dont parle David dans les Psaumes 23,5, sur laquelle je trouve notamment l’amour, le pardon offert et reçu, la bienveillance, la réconciliation, et la compréhension. Inconsciemment, je me suis servie à cette table chaque fois que j’en avais besoin.

– Marie-Claude Manga est pasteure et travailleuse sociale. Elle est membre du conseil de La Table des ministères en français ainsi que de l’exécutif du Conseil régional Nakonha:ka.

 

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