| Par Suzanne Grenier |
Aujourd’hui Credo lance une nouvelle rubrique exploratoire.
S’il s’agissait d’une série sur Netflix, le titre serait peut-être Morts et filatures.
Dans le langage des publications savantes, on l’intitulerait plutôt Enquête réflexive collective sur la transmission et les migrations des symboles, des valeurs et des attitudes associés aux religions à travers les lignes de fracture de l’environnement social contemporain.
Cela décrirait assez précisément la quête sous-jacente à Ruptures et filiations, mais gardons un registre souple et résumons ainsi la question très large que posera cette rubrique : qu’advient-il, selon ce que nous observons avec attention autour de nous, de tout ce qui se rapporte aux religions?
Le débat sur la laïcité a renforcé l’idée d’un clivage radical entre l’expérience religieuse et l’expérience laïque, en en faisant une ligne de fracture majeure de la vie aujourd’hui – et aussi, paradoxalement, en rendant monumental et figé ce qu’on dit vouloir éliminer ou dépasser. On dramatise au lieu d’apaiser, et cela ne manque pas d’exacerber les tensions sociales. Or, ce découpage en bloc paraît peu compatible avec l’expérience humaine en ce qu’elle a d’organique et avec la complexité des liens entre les personnes et entre les groupes. Ne pourrait-on pas collectivement bénéficier d’une vision plus élevée, d’un questionnement plus profond et d’analyses plus fines pour saisir toutes les filiations qui sont à l’œuvre ou qui pourraient se révéler au regard de ce que portent les religions et les transformations culturelles que nous vivons?
Très souvent, ce sont les artistes qui attirent d’abord notre attention sur des phénomènes latents, qui révèlent avec une clarté parfois déstabilisante le cœur de ce qui est trouble, en remontant vers l’origine des choses ou en tendant des perches rédemptrices dans des situations marécageuses. Ainsi, alors que le débat public se polarisait au Québec, l’écrivaine Monique Proulx proposait avec Ce qu’il reste de moi le tableau d’une quête d’absolu aux multiples visages, dans une réalité ramifiée mais toujours irriguée par le rêve de la mystique laïque Jeanne-Mance, terreau vivant qui engendrera une harmonie pourtant d’emblée peu envisageable dans la cacophonie de Montréal. « Écrire est une expérience de compréhension qui bouscule, forcément », dira d’ailleurs la romancière.
D’autres indices sont disséminés ça et là dans des productions artistiques récentes. Il y a l’auteur-compositeur-interprète Philémon Cimon dont le dernier album, Pays, enregistré sur les lieux de son enfance dans Charlevoix, reprend entre autres La chanson de Saint-Joseph-de-la-Rive, qu’interprétait la chorale de l’église du même nom : « J’ai eu envie de raviver cette chanson-là parce que sinon, eh bien… Le curé est mort l’an passé et la chanson allait mourir avec lui. » D’hier à aujourd’hui, et pour comprendre ce qui en fait partie, sachons toutefois que le pays qu’évoque Philémon Cimon n’en est pas un de frontières ni de revendications nationalistes : « À la base, c’est juste un terme qui représente un certain lieu où on se sent chez nous », explique-t-il.
Il y a aussi Tabarnak, le spectacle que le Cirque Alfonse conduit en tournée depuis 2017 et qui se déploie dans l’imagerie du patrimoine religieux, considéré comme composante culturelle et identitaire fondamentale du Québec : « Du sous-sol à la nef, de l’autel au chœur, des chants liturgiques aux grandes orgues, Tabarnak célèbre la messe comme espace de naissance, de communion, de mariage, de mort », annoncent les concepteurs. Alors que les références culturelles du spectacle s’entremêlent, allant jusqu’à représenter des derviches tournoyant dans de grandes tuques tricotées, et alors que dans cette festive démonstration « l’humain tutoie le divin », le metteur en scène formulera la question : « Que reste-t-il aujourd’hui de ce qui est sacré? »
Parfois, les choses ne sont ni intentionnelles ni vraiment explicites. La religion, simplement, se trouve à partager des pans de culture, dont elle n’est pas forcément l’origine ni la finalité. On dirait plutôt alors qu’elle fait partie d’un flux ou d’une constellation, d’affinités à relais; et cela rend d’autant plus intéressante la possibilité d’y retracer des parcours et des significations.
Par exemple, le fameux « Nous ne sommes pas seuls, nous vivons dans le monde que Dieu a créé », par lequel s’amorce la Confession de foi qui inspire tant les membres de l’Église Unie. Quelles résonnances se produisent quand on met ce vers en rapport avec « We are not alone/nous savons/que nous ne sommes pas seuls », la strophe finale de Speak White, un poème-phare qui depuis 50 ans refait surface dans la défense du français en situation minoritaire (cela tout en s’appuyant sur des références anticolonialistes qui ne se limitent pas au Québec)? Et voilà que, en outre, Nous ne sommes pas seuls est le titre que Catherine Dorion, la députée de Taschereau, a choisi pour son podcast. Clin d’œil ou non au poème des années ’60, cette intervention sur le terrain politique et dans le monde des médias sociaux s’articule à une analyse en plusieurs strates que la poète-députée a exposée lors de son entrée à l’assemblée nationale : « Je vais commencer par vous parler du problème qui, d’après moi, est la pierre angulaire de tous les autres, et j’ai nommé la solitude, qu’on pourrait aussi appeler la désintégration de la culture. »
Ce ne sont là que quelques pistes, l’idée esquissée qu’il y a dans la trame de la culture actuelle des réseaux de sens pouvant nous aider à mieux nous comprendre collectivement, en laissant ouverts les espaces d’apaisement, de communauté et de transcendance auxquels peut contribuer l’élan spirituel qui anime, entre autres, les êtres religieux.
Aujourd’hui Credo prendra des initiatives pour que chemine cette nouvelle rubrique exploratoire. Nous vous invitons aussi, vous qui constituez le lectorat du magazine, à suggérer des indices, des pistes et des analyses découlant de vos observations du monde qui vous entoure.
Avez-vous… lu un livre, vu un film ou un spectacle, entendu une entrevue, pris part à une activité ou été témoin d’une interaction où s’exprimait la quête d’un sens communautaire, en résonnance avec votre foi ou avec une dimension spirituelle qui s’y apparente? Comment percevez-vous les exemples mentionnés dans cet article d’introduction de la rubrique? Y voyez-vous des pistes, menant peut-être à d’autres pistes? Ou des inspirations pour communiquer vos propres intuitions?
Ruptures et filiations accueillera des contributions dans une variété de formes : commentaires, comptes rendus, articles de fond, entrevues écrites ou filmées, poèmes, chants et prières, textes de fiction, vidéos… Nous attendons vos propositions, y compris celles qui sortent des sentiers battus!
Pour communiquer avec Aujourd’hui Credo : edition@egliseunie.ca