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RETROVISEUR 9 – La Mission populaire évangélique de France, 150 ans d’évangélisation et d’engagement social

Le pasteur écossais McAll prêchant à la Mission populaire évangélique de France © S.H.P.F.

L’évangélisation est-elle la seule solution pour améliorer le sort des classes populaires? L’incroyance affirmée de certains doit-elle les exclure de la solidarité chrétienne?

Par contre, une évangélisation seulement en actes, renonçant à l’annonce explicite de la Parole, est-elle encore une évangélisation?

Depuis 1872, la Mission Populaire poursuit son chemin sur cette ligne de crête…

 

| par Jean Loignon |

 


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Une année terrible

Nous sommes en août 1871. La France vient de connaître une « année terrible » : défaite l’année précédente par les armées prussiennes et allemandes, elle est envahie, Paris assiégé et affamé. L’Empire de Napoléon III a été balayé, la République proclamée, mais c’est surtout l’incertitude politique qui prévaut. Au printemps 71, le peuple de Paris refuse la capitulation et s’organise en Commune. Cent jours durant, les communards essaient de faire vivre les premiers idéaux socialistes, mais ils se heurtent à la féroce répression des forces conservatrices, effrayées par cette révolution urbaine. Combats, barricades, exécutions sommaires… plus de 20 000 Parisiens perdront la vie, particulièrement dans les quartiers populaires de l’Est de Paris. Dans cet affrontement, l’Église catholique en butte à l’anticléricalisme de la Commune de Paris a nettement choisi son camp, celui de la répression et de la réaction. En revanche, la Commune de Paris occupera une place majeure dans l’imaginaire collectif de la gauche française et laïque.

Une interpellation

C’est à Paris le 18 août 1871, dans le quartier ouvrier et meurtri de Belleville, qu’un pasteur écossais, Robert McAll, vient distribuer des Bibles, en vue d’évangéliser une population dont il connaît la détresse. Un ouvrier qui parlait un peu anglais, interpelle rudement le pasteur : « Nous ne pouvons accepter une religion imposée, mais si quelqu’un venait nous prêcher une religion d’un autre genre, une religion de liberté en même temps que de réalité, beaucoup d’entre nous seraient prêts à l’accepter… »

McAll, dans son pays, était déjà sensible à la question sociale. Mais à Belleville, il entend les paroles de l’ouvrier comme un appel particulier[1] et vit une conversion à une autre forme de présence des Églises protestantes en milieu ouvrier. Dès 1872, il ouvre un lieu d’accueil pour les plus démunis et suscite un puissant mouvement, baptisé Mission McAll, puis Mission populaire évangélique de France. Ses « Fraternités » essaiment dans cette France industrielle et ouvrière, délaissée par les Églises protestantes d’alors. Par le redressement moral, l’éducation, la lutte contre l’alcoolisme, naissent des communautés croyantes acquérant une nouvelle dignité sociale par la voie de l’évangile. Dans le contexte de la fin du 19e siècle, le but paternaliste de la MPEF est de détourner les ouvriers des courants socialistes réputés irréligieux, d’où le soutien d’églises plus bourgeoises, tant en France qu’en Angleterre et aux États-Unis.

La « Miss Pop » fait alors preuve d’une remarquable créativité pour gagner ces populations, qui ne connaissent pas le chemin des temples traditionnels : baraques démontables, chapiteaux, péniches, voitures équipées et surtout ces Frat’, véritable lieu de solidarité communautaire aux quatre coins de la France[2].

L’évangélisation en débat

Après un éclatant succès jusqu’en 1914, le mouvement subit un net ralentissement durant l’entre-deux-guerres. L’influence des partis socialiste et communiste, la crise économique, la montée du fascisme, le rôle accru des lois sociales arrachées par les luttes ouvrières, la tragédie de la Seconde Guerre mondiale, tout cela interroge : l’évangélisation est-elle la seule solution pour améliorer le sort des classes populaires ? L’incroyance affirmée et maintenue de certains doit-elle les exclure de la solidarité chrétienne ?

La Mission populaire connaît alors un tournant majeur : le choix assumé dans les années 50 – celles de la Reconstruction – d’une politisation très marquée à gauche des Fraternités. À l’instar des prêtres ouvriers, des pasteurs s’engagent et prennent ouvertement parti dans les luttes syndicales. L’évangélisation n’est plus mise en avant, afin de rejoindre le plus grand nombre, quelles que soient ses croyances ou incroyances religieuses.

Cette orientation ne fait pas l’unanimité : les paroisses protestantes plus modérées censées soutenir les Fraternités s’éloignent de la « Miss Pop ». Les donateurs anglo-saxons, attachés à un apolitisme rempart à leurs yeux contre le communisme, diminuent leur aide. Par ailleurs, la génération croyante précédente ne se reconnaît plus guère dans ce nouveau milieu militant imprégné par les utopies des années 60-70 et de plus en plus laïque. Les Fraternités évoluent vers davantage d’autonomie, cherchent à s’autofinancer et se professionnalisent, en nouant des liens étroits avec les collectivités locales qui les subventionnent : elles deviennent des centres sociaux, encore souvent communautaires,[3] mais de plus en plus laïques. Une évangélisation seulement en actes, renonçant à l’annonce explicite de la Parole, est-elle encore une évangélisation ?

C’est sur cette ligne de crête que la Miss Pop, depuis 150 ans, poursuit – non sans débats ! – son chemin dans une France de 2021, où ne cessent pas de se renouveler la précarité et l’exclusion. Née dans un contexte tout autre, l’action sociale de l’Église Unie du Canada ne connaîtrait-elle pas un questionnement similaire ?

 

[1]McAll évoquera l’appel du Macédonien dans Actes 16,9.

[2]Pas moins de 137 « salles d’évangélisation » à la mort de McAll en 1993 mais une quinzaine de Fraternités durables. Douze subsistent aujourd’hui.

[3]En français métropolitain, je dirai plutôt « associatif ».

 

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