Quand le mot « résister » tend un fil (protestant) par-delà les siècles.
| par Jean Loignon |
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Pour le protestantisme français, Marie Durand symbolise les épreuves de l’Église du Désert (1685-1787), une génération après la révocation de l’Édit de Nantes et l’exode des huguenots vers l’Europe du Refuge. Elle naît en 1711 dans un hameau du Vivarais (le département actuel de l’Ardèche, proche de la vallée du Rhône), au lendemain de la guerre des Camisards qui ravagea les Cévennes. Sur ce rude plateau couvert de châtaigniers[1], l’Église réformée ne survit que clandestinement par des cultes organisés en plein air, dans des lieux retirés, appelés « déserts » en ancien français, mais avec l’ajout d’une connotation biblique tirée du livre de l’Exode. Précisément, Pierre, le frère de Marie, est un de ces pasteurs formés en Suisse et qui tentent de réorganiser les églises protestantes de France. Pourchassé par le pouvoir royal, il sera pendu en 1732. Mais auparavant, sa famille a été arrêtée et Marie emprisonnée à la Tour de Constance, à Aigues-Mortes, là où le Rhône se jette dans la Méditerranée.
Pendant 38 ans, non seulement elle refusa l’abjuration de sa foi qui l’aurait libérée aussitôt, mais elle soutint constamment le moral du groupe des prisonnières protestantes qui partageaient son sort. On lui attribue la fameuse inscription « Résister » gravée sur la margelle du puits de la prison. Marie Durand fut enfin libérée en 1768 et retourna dans son hameau natal, le Bouschet de Pranles, lieu transformé aujourd’hui en musée du Vivarais protestant.
Réseau de lutte antinazie
Cette histoire était restée confidentielle, mais une autre femme la raconta deux siècles après : en 1940, se constitua au nouveau Musée de l’Homme de Paris un des premiers réseaux de lutte contre l’occupation nazie. Cherchant un nom pour un bulletin d’informations « de Français libres de France », la bibliothécaire protestante Yvonne Oddon[2] raconta à ses collègues l’histoire de Marie Durand et ils choisirent le mot « Résistance » pour ce journal clandestin. Le mot résistance qui figurait aussi dans le fameux Appel du 18 juin 1940 lancé par le Général de Gaulle désigna rapidement l’ensemble de la lutte antinazie en France. Inexpérimentés, les résistants masculins du réseau du Musée de l’Homme payèrent de leur vie dès février 1942 leur engagement. Graciée, Yvonne Odon fut déportée en Allemagne au camp de concentration féminin de Ravensbrück, en compagnie de l’ethnologue Germaine Tillion, également membre du réseau[3] : toutes deux survécurent.
[1] Le fruit de cet arbre fut l’aliment de base des paysanneries protestantes du Midi de la France.
[2] Pour plus de détails, http://museedelaresistanceenligne.org/media394-Yvonne-Oddon-rA
[3] Germaine Tillion mourut à 101 ans; sa vie engagée exemplaire lui valut d’être une des femmes inhumées en 2015 au Panthéon (la nécropole parisienne « des grands hommes » de la République).