Guerres de religion et persécutions ont forgé dans la douleur un particularisme protestant français qui se traduit dans son rapport à l’architecture religieuse.
| par Jean Loignon |
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En France, on désigne par le mot « église » le lieu où se célèbre la messe catholique et par celui de « temple » le lieu du culte protestant. Pourtant, l’étymologie de ces deux termes justifierait un choix inverse : « église » vient du grec « ecclésia » signifiant « assemblée », ce qui convient au culte protestant qui n’existe que par le rassemblement de fidèles, alors que le terme « temple » (sanctuaire) serait plus pertinent pour la confession catholique qui sacralise les lieux et les édifices accueillant les messes.
Le protestantisme français a fait probablement ce choix paradoxal au 16e siècle par référence biblique au Temple de Jérusalem mais aussi pour se différencier du catholicisme romain dans un contexte rapidement très conflictuel. En effet, Guerres de religion et persécutions ont forgé dans la douleur un particularisme protestant français qui se traduit dans son rapport à l’architecture religieuse.
Au commencement, la théologie
La volonté initiale a été de montrer la prééminence de la Parole prêchée devant une assemblée réunie par des pasteurs qui n’étaient plus des prêtres et pour lesquels administration des sacrements devenait une mission seconde. D’où la construction au 16e siècle d’édifices en forme d’amphithéâtre, dépourvus de l’espace séparé du chœur et de l’autel. La chaire à prêcher devenait le centre symbolique du lieu, rompant parfois avec le plan cruciforme pour un plan circulaire, comme au Temple lyonnais du Paradis[1]. À quoi s’ajoutait le refus des images et de la statuaire, suspectes d’idolâtrie aux yeux des Réformateurs. D’où une architecture fonctionnelle de bâtiments éclairés par des baies vitrées (pour permettre la lecture de la Bible); de bancs (pour la même raison) et modestement décorés de simples citations bibliques sur les murs[2]. Le protestantisme faisait durablement le choix de privilégier les sens auditifs de ses fidèles par la parole et la musique chorale, à l’heure où la Contre-Réforme catholique et l’art baroque multipliaient la munificence des couleurs, des sons, voire des parfums dans des églises de reconquête.
À l’épreuve de l’histoire
Il est difficile aujourd’hui de mesurer la réalité de cette architecture protestante, car la quasi-totalité des temples protestants ont été détruits lors de la révocation de l’Édit de Nantes par Louis XIV en 1685. Les temples anciens qui subsistent aujourd’hui sont ceux de territoires qui n’étaient pas encore sous la coupe de l’absolutisme royal, comme l’Alsace ou la principauté luthérienne de Montbéliard dans l’Est de la France.
Ces vicissitudes ont profondément marqué le protestantisme français qui a dû recourir à la clandestinité et aux cultes dits « au Désert », dans des lieux montagneux ou écartés mais avec la référence explicite au peuple juif dans le Désert, selon le livre de l’Exode. Dans ce cas, aucun bâtiment, une chaire démontable pour un pasteur sorti d’une cache et des guetteurs chargés de sonner l’alerte en cas d’arrivée des soldats.[3] Cette précarité qui a maintenu héroïquement la foi protestante en France nourrit la tradition des cultes en plein air, comme celui du Désert, chaque premier dimanche de septembre dans les Cévennes.
C’est la Révolution française en 1789 et le Concordat napoléonien de 1802 qui rétablit définitivement la liberté de conscience et de culte en France. Il s’ensuivit une vague de (re)construction de temples, avec un souci de visibilité architecturale, voulant témoigner de la réintégration des protestants dans la société. Ils sont nombreux aujourd’hui, notamment dans le croissant méridional du protestantisme français, ces temples aux frontons néo-classiques et qui maintiennent le pari d’une austérité intérieure conforme à l’impulsion première de la Réforme.
Cependant, l’autoritarisme de la gestion napoléonienne des cultes avait permis l’attribution d’églises catholiques monumentales mais désaffectées au culte protestant, créant une manière d’œcuménisme architectural inattendu, comme à l’Oratoire du Louvre[4] au cœur de Paris. Tout comme l’Alsace – terre de coexistence religieuse pacifique – offre l’exemple du « simultaneum », à savoir le partage d’un même lieu entre culte protestant et messe catholique.
Aujourd’hui ?
Au 20e siècle, l’extrême minorité du protestantisme français – 2% de la population – et la modicité de ses moyens (du fait de la séparation des Églises et de l’État) ne favorisent guère une floraison innovante de temples. D’autant qu’une tendance théologique a exprimé dans les années 60 une méfiance envers des lieux voués exclusivement au culte dominical; nombre de paroisses ont opté alors pour la construction de lieux communautaires, ouverts à la population croyante ou non, avec une architecture purement fonctionnelle, parfois dépouillée de toutes références religieuses : les Fraternités de la Mission Populaire Évangélique de France[5] offre un exemple marqué d’une architecture utilitaire au service d’une présence dans le monde tel qu’il est.
Par réaction, se constate aujourd’hui dans quelques projets architecturaux un souci inverse d’attention à l’espace, aux couleurs, aux arts visuels dans un souci de redonner des repères religieux à un public en quête de spiritualité[6].
L’architecture protestante française est la somme de ces multiples héritages, avec ses innovations, ses destructions, ses choix et ses compromis, qui, tous, disent la foi de croyants rassemblés d’hier mais aussi pour demain.
[1] Le Temple lyonnais du Paradis, édifice totalement disparu.
[2]Le Temple de Charenton dans la banlieue de Paris en est un bon exemple (gracieuseté de museeprotestant.org). Ce temple fut détruit dans la semaine qui suivit la révocation de l’Édit de Nantes.
[3]Culte au Désert aux environs de Nîmes au 18e siècle : https://museeprotestant.org/notice/la-religion-du-desert-1715-1787/ (gracieuseté de museeprotestant.org)
[4]Intérieur de l’Oratoire du Louvre (document de l’Association Presbytérale de l’Église Réformée de l’Oratoire du Louvre)
[5]Voir mon article dans Aujourd’hui Credo.
[6]La chapelle des Diaconesses de de Reuilly à Versailles conçue par Marc Rolinet : https://www.diaconesses-reuilly.fr/premier-jour-de-lavent/