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RÉTROVISEUR 10 – Les Justes du Plateau

Plaque commémorative, Le Chambon-sur-Lignon. Photo : Wikimedia.

Le Plateau du Chambon s’est vu collectivement décerner la médaille des Justes, la distinction pour ceux qui aidèrent les juifs dans la persécution sous le régime de Vichy.

Comment expliquer le comportement exemplaire de cette communauté protestante?

 

| par Jean Loignon |

 


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Dès la défaite de la France devant les armées nazies en 1940, les quelque 300 000 juifs que comptait la population se trouvèrent en grande vulnérabilité : la moitié nord du pays était occupée militairement par les Allemands, la moitié sud était sous l’autorité du régime dit de Vichy, dirigé par le maréchal Pétain. Dès octobre 1940, ce dernier devança les exigences nazies, en bannissant socialement et économiquement ceux qu’on désignait comme « israélites de race juive ». S’en suivit une longue série de discriminations, dont souffrirent en premier les juifs d’origine étrangère qui avaient cru trouver en France un asile; mais les juifs français ne furent pas épargnés pour autant. Lors des grandes rafles de l’été 1942 à Paris, les nazis prévoyaient de ne déporter que les adultes de plus de 16 ans, abandonnant les enfants à la responsabilité du régime de Vichy. Le premier ministre Laval répondit que leur sort ne le concernait pas : 3000 enfants furent déportés, aucun ne survécut.

Pourtant, de nombreux juifs échappèrent en France à la déportation, environ 75 %, alors que des communautés dans le reste de l’Europe furent littéralement exterminées, aussi bien en Pologne, aux Pays-Bas qu’en Grèce. Pourquoi?

Contrairement à ce qu’affirment certains admirateurs tardifs[1] du Maréchal Pétain, ce n’est pas d’une prétendue protection de ce dernier que résulterait ce sauvetage. La taille du territoire français difficile à contrôler intégralement, l’existence de régions rurales isolées expliquent bien davantage le fait et surtout la solidarité d’une grande partie de la population, refusant de livrer aux nazis des familles entières françaises ou étrangères, du seul motif de leur religion. Partout sur le territoire, des initiatives individuelles ou collectives, des réseaux furent à l’œuvre, en dépit des terribles dangers encourus.

Dans cet élan solidaire qui rachète bien des comportements infâmes de la Collaboration avec les nazis, la communauté protestante joua un rôle considérable, compte tenu de ses modestes effectifs (environ 2% de la population). Un exemple – parmi d’autres – est donné par l’accueil de nombreux enfants et adultes juifs sur le Plateau du Chambon entre 1941 et 1944. Cette microrégion à l’est du Massif central, entre Auvergne et Cévennes, était un isolat protestant, historiquement épargné par les persécutions de l’Ancien Régime. Le Plateau était habité par de rudes paysans, vivant pauvrement, mais très encadrés par des pasteurs, parfois élus locaux. Certains, pour augmenter les revenus de la population, avaient créé des colonies de vacances, accueillant au grand air les enfants du bassin houiller voisin de Saint-Étienne. Ces homes d’enfants, mais aussi de simples fermiers accueillirent ainsi des enfants juifs de toutes nationalités, confiés à des intermédiaires par leurs parents menacés. L’accueil devait être temporaire, il dura des années, grâce à la constante solidarité des villageois et des organisations clandestines qui purent exfiltrer vers la Suisse de nombreux enfants. Un millier furent ainsi sauvés[2]. L’institut israélien Yad Vashem qui perpétue la mémoire de la Shoah décerna collectivement au Plateau du Chambon la médaille des Justes, la distinction pour ceux qui aidèrent les juifs dans la persécution. De plus, 70 habitants l’obtinrent à titre individuel. Comment expliquer ce comportement particulièrement exemplaire?

Les protestants du Plateau, de différentes dénominations, avaient une conscience profonde d’habiter un « refuge » qui les avait préservés autrefois et qu’ils se devaient d’offrir à d’autres persécutés. Leur culture biblique profonde fondée tant sur l’Ancien Testament que sur le Nouveau leur faisait considérer les juifs comme des « frères aînés dans la foi ». À quoi s’ajoutait le pressentiment qu’ils pouvaient être après les juifs les victimes suivantes d’un régime nostalgique d’un catholicisme dominateur. On doit aussi citer le rôle éminent des pasteurs comme André Trocmé, mais la plus belle raison est donnée par un témoin interrogé dans le film « les Armes de l’Esprit »[3] sur l’accueil des enfants : « on ne s’est pas posé de questions, on les a accueillis ».

 

Pour aller plus loin : https://www.memoireduchambon.com

 

[1]Je pense au polémiste et provocateur Eric Zemmour, hélas candidat à l’élection présidentielle.

[2]Le film de Jean-Louis LORENZI, « La Colline aux mille enfants » (1996) relate de façon romancée mais poignante cette histoire.

[3]Documentaire (1990) de Pierre Sauvage, cinéaste franco-américain, enfant du Plateau.

 

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