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Respirer… pour vivre

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| par Pierre Goldberger |

 

À gauche, manifestation à Columbus. Photo (recadrée) : Paul Becker (Creative Commons Attribution 2.0 Generic ). À droite, manifestation à Montréal. Photo (recadrée) : Rachelle Arthur.

 

« …I can’t breathe… », je ne peux pas respirer, j’étouffe, n’a cessé de répéter George Floyd, pendant une éternité de 9 minutes, avant de succomber sous le poids du racisme. Racisme policier dans ce cas. Ceux-là mêmes qui étaient censés protéger ses droits. Sa peau était noire.

C’est TOUT.

C’est TOUT? Il n’était que ça : peau noire. Tout le reste ne comptait pas.

Virus mortel du racisme, rarement avoué, qui se répand invisible et infecte nos sociétés, nos institutions, nos subconscients de sociétés blanches, nos politiques d’immigration et de réfugiés, de santé, d’accès au logement et au travail… et qui quelques fois se glisse dans nos repas de famille… et nos Églises?

Virus du racisme qui se répand et prospère par la voie de nos regards baissés, embarrassés, de nos silences gênés ou indifférents, toujours complices : ce n’est pas notre peau. Ce n’est pas notre affaire? Vraiment? Sauve qui peut?

Michael nous confie : « Je veux vous dire que ce cri de George Floyd, “I can’t breathe!”, “J’étouffe!”, reflète la réalité que nombre d’entre nous, Noirs, vivons. » Et il ajoute : « J’étouffe quand vous me laissez le fardeau de dénoncer les gestes racistes dont vous êtes témoins, et que vous gardez silence. »

George Floyd, scandaleux! Mais, entend-on, cela ne se passe-t-il pas aux É.-U., encore rongés par le racisme et l’esclavage au cœur de leur histoire? Sans doute, car pas dans notre cour. Vraiment? Comment expliquer la condition des Autochtones, parqués, dépossédés de leur culture, de leurs territoires, et de leurs enfants kidnappés pendant 175 ans? La disparition de près de deux mille Femmes? Et le non-lieu de l’enquête sur la police à Valdor? Pas dans notre cour? Les rapports de la Commission de vérité et de réconciliation, le rapport Viens, le rapport sur le Québec de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées. Il y a du progrès dit-on, mais encore bien des communautés n’ont pas même d’eau potable, de centre de santé, de logements salubres… sur leurs terres. Un racisme colonial chez nous qui est encore institutionnel, culturel et politique et qui est encore bien ancré dans notre système juridique.

Notre racisme, plus sous-jacent, est encore bien réel.

 

Un exemple…

Nous avons un joyau d’Église noire à Montréal. Union United Church, composée de certaines de personnes au Canada depuis plus de 200 ans et d’autres provenant d’une trentaine de pays. Caraïbes, Afrique, Amérique du Sud. Cette communauté est connue de tous les groupes militants de droits de la personne contre le racisme et l’injustice. Mandela, Jessie Jackson, Desmond Tutu y sont allés intentionnellement partager leur parole prophétique en venant au Canada. « I have a dream… », « J’ai un rêve… » de Martin Luther King y résonne toujours. À notre retour du Guatemala, connaissant son engagement pour la justice, Union a appelé ma femme Faye comme pasteure pour 3 ans, et la communauté l’a adoptée, chérie, embrassée tout comme elle accueillait en son sein des couples blancs et noirs avec leurs enfants et leurs ami.e.s, et moi-même. Pourtant, il ne se passait pas une semaine sans incident discriminatoire à caractère raciste. Jeunes arrêtés portant une TV… lors d’un déménagement, un autre avec une bicyclette trop rutilante, conducteurs stoppés pour conduire une auto jugée trop belle pour eux, et beaucoup d’intimidation et de contraventions arbitraires, de menaces de détention et de « détentions préventives » par la police. À chaque étude biblique, à la chorale ou lors de visites, ces histoires émergeaient. Je ne compte pas les fois où Faye est allée accompagner ou chercher des paroissiens au poste de police. Dan Philips, une figure prophétique ayant grandi à Union, a fondé un centre – fort occupé – de défense et de plaidoyer face aux abus raciaux. Union, c’est un phare de dignité, de Foi vécue, de Justice… et d’expérience d’un racisme quotidien! À Union, Oscar Peterson et Oliver Jones, de grands jazzmen, ont appris le piano, dans le sous-sol, et surtout ils y ont appris à se tenir debout et fiers, comme Enfants de Dieu! Ils n’ont cessé – anonymement – de pourvoir des bourses d’études pour les jeunes et les services communautaires d’Union visant l’inclusion digne…

« …Je ne peux plus respirer… » Et nous? Et moi?

Nous le savons. Plus facile de respirer si on a la peau blanche. Elle nous sert aussi de Passeport! Sauf si, dans la rue, on a une maladie mentale.

Garderons-nous le silence face au racisme, ce silence qui, nous dit Michael, est un acte violent, comme un genou écrasant un cou?

Impossible. Pas si l’Esprit de l’Évangile et le Souffle de Pentecôte nous saisisent… L’acceptation inconditionnelle de Dieu.e pour tous les peuples, les cultures, les couleurs, les conditions de vie. Une Parole nous re-lève. Un Esprit nous libère, ensemble, et nous donne Vie et dignité. Comme les disciples à Pentecôte, ne sommes-nous pas lancé.es sur la place publique, de la société, du monde, appelé.e.s à aimer, élever la voix, prier, agir? Maintenant.

La triste pandémie du racisme se poursuit aujourd’hui? Que toutes les voix s’élèvent!

Et les cœurs aussi! Sursum corda!

 

Agir : nous pouvons changer les choses

Je vous propose, à portée d’un clic d’ordinateur, en toute liberté, de signer d’ici le 11 juin la pétition e-26 – (Citoyenneté et immigration)1 en faveur des demanderesses et demandeurs d’asile qui œuvrent dans les « services essentiels de la santé », notamment dans les zones les plus affectées par la pandémie des CHSLD, à Montréal. Cela ne sera qu’une goutte d’eau, mais ensemble s’accumulant, nos voix deviendront courant, rivière dont le cours pourra dépasser les barrages en matière d’immigration et de justice humanitaire. Cette pétition touche surtout la situation des Haïtiennes et Haïtiens — mais aussi de toute personne sans statut — travaillant, au risque de leur vie, dans les Zones rouges des CHSLD.

Un peu de contexte. En 2017, sous la menace d’expulsion par le président Trump, environ 8 000 personnes requérantes originaires d’Haïti sont arrivées au Québec par le poste-frontière de Lacolle ou par le chemin Roxham et ont demandé l’asile. Depuis 2017, le Canada n’a pas régularisé leur statut, tout en leur accordant un permis de travail, afin, en fait, qu’ils puissent tout juste survivre sans autre appui du Canada et du Québec.

Ces personnes peuvent être déportées n’important quand. La plupart sont des Femmes, travaillant dans les CHSLD les plus contaminés; ces personnes comptent généralement parmi les travailleurs et travailleuses des services essentiels, au plus bas de l’échelle et dans des emplois précaires (nettoyage, ménage, industrie alimentaire, etc.). Un journaliste d’enquête de Radio-Canada a conclu qu’on utilisait ces femmes haïtiennes dans les CHSLD, sans protection sanitaire, « comme de la chair à canon »! La scandaleuse exclusion des demandeurs d’asile de la formation comme préposés confirme ces exclusions! On les retrouve avec leur famille, ne bénéficiant d’aucune couverture médicale — imaginez! —, tous ces gens entassés dans des logements de misère, dans les quartiers les plus précarisés par la pandémie (Montréal-Nord, Ahuntsic, Parc-Extension, Côte-des-Neiges, Cartierville). Alors que pleuvent les louanges « Aux Anges Gardiens » de « nos CHSLD » et les appels les plus pressants pour servir « nos aînés », cette pétition demande qu’on leur accorde, dans une situation exceptionnelle de la pandémie, le statut d’immigrant reçu pour motif humanitaire…

Ça, c’est le minimum!

L’équipe de rédaction d’Aujourd’hui Credo m’a encouragé à dire pourquoi j’ai signé la pétition — tout comme des collègues pasteur.e.es et laïcs. Est-ce nécessaire, quand les faits sont criants?

Tout de même, j’aimerais ajouter quelque chose. Une perspective plus large. Nos critères d’acceptation des requérant.es du statut de réfugié.e.s comportent d’énormes aveuglements. On dénonce les « réfugiés économiques », dont les Haïtiennes et Haïtiens, comme étant de « faux réfugiés »! Ceux et celles qui prennent l’énorme « risque du refuge » n’ont la plupart du temps pas le moindre sou. Aussi font-ils passer le chapeau dans la famille élargie, les amis, pour payer le voyage etles passeurs (exploiteurs), et survivre un temps. Cela pour trouver du travail, n’importe lequel, à n’importe quel prix, afin non seulement de survivre eux-mêmes, mais d’envoyer une grande part de leur gagne dans leur famille, en Haïti. Les expulser? C’est la catastrophe! Ces redevances de pauvres dignes, de travailleuses et travailleurs exploité.e.s, solidaires, constituent en fait un montant supérieur à celui de « l’aide internationale » que reçoit Haïti et fait vivre des millions de personnes, chaque jour! La Bible les appelle les anawim, les pauvres, les dépossédé.e.s, celles et ceux dont Dieu est le seul véritable recours et avec qui le Christ se tient, de préférence.

De plus, malgré les preuves et les efforts en ce sens, les critères d’acceptation ne reconnaissent pas le statut de « réfugié.e.s climatiques », justifié par une situation bien réelle dont Haïti et beaucoup d’îles du Pacifique sont victimes. Au Québec et au Canada, s’ajoutent aussi d’autres personnes sans statut, étudiants internationaux, travailleurs temporaires, année après année, sans horizon de résidence…

J’évoque tout cela, conscient de la situation privilégiée largement partagée au Canada, un pays stable, riche, démocratique… Mais si nous réduisons les humains qui demandent asile à de simples marchandises et si nous ne savons pas les traiter avec justice, alors, nous disent les Prophètes, ce Nazaréen des marges, son Esprit de Pentecôte, « les pierres crieront d’elles-mêmes »!

Personne ne doit plus crier « je ne peux plus respirer… » et mourir du racisme.

Le mien, le nôtre.

 

1 La pétition e-26 – (Citoyenneté et immigration) la pétition est soutenue notamment par la Concertation haïtienne pour les migrant.e.s (CHPM), qui regroupe plus d’une dizaine d’organismes communautaires, œuvrant dans le domaine de l’immigration, l’accueil des nouveaux arrivants, l’éducation, la santé, les services sociaux, et est présentée par le député Alexandre Boulerice.

 


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Une réponse à

  1. caroline jette says:

    Merci Pierre pour ce texte très clairant et triste a la fois, je vais signer la pétition sans attendre. J’ai partagé a plusieurs personnes.

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