C’était en 1926. Carter G. Woodson, Afro-américain, historien sorti de Harvard, propose d’établir un moment au cours de l’année, afin d’honorer les réalisations des Afro-américains et d’accroître la connaissance de l’histoire des Noirs aux É.-U. La « Negro History Week » est instaurée. Quelque temps après, le Canada s’y lance. Mais il faudra attendre 1995 pour la reconnaissance officielle par la Chambre des communes de février comme Mois de l’histoire des Noirs. La position officielle du parlement canadien survient en 2008. Un aboutissement qui arrive, plus de 80 ans après, à la suite de deux mobilisations à des paliers politiques croissants, sous l’impulsion chaque fois, d’un Noir. Il a fallu tenir bon. Quelle est la portée de cette commémoration pour nous?
Alors que nous nous rappelons la contribution des populations d’ascendance africaine à la construction du patrimoine canadien, un évangéliste interpelle.
Jésus est de retour à Capernaüm. Les gens l’apprennent et accourent. Pendant qu’il enseigne, arrive par la toiture une personne paralysée qui atterrit à ses pieds sur son brancard. Et pour cause, quatre proches espèrent en Jésus pour trouver solution à cette souffrance. Mais la foule a envahi la maison. Impressionné par cette stratégie de contournement de la barrière humaine, il rend hommage à leur mobilisation par la foi. La prise en charge est immédiate. Le patient reçoit la dissolution de ses péchés. Déclaration considérée comme un blasphème par les spécialistes de la Loi. Pourquoi de telles pensées les habitent-ils? demande Jésus compatissant. Aussi entame-t-il une démarche pour les sortir de leur ignorance.
Suivons attentivement Jésus. Si vous estimez que l’effacement de péché que je prononce est un blasphème, il en est de même du rétablissement de la motricité que ces proches espèrent obtenir de moi. Dieu ne s’est-il pas présenté au peuple comme Celui qui guérit ? Ces deux formes de salut proviennent de la même source. Voyons donc : Moi, qui donne la guérison pour laquelle tous me cherchent, je suis le Fils de Dieu. Sachez-le, sur cette terre, j’ai l’autorité d’effacer les transgressions humaines ; tout comme j’ai autorité pour libérer de la paralysie. Et je le ferai malgré vos croyances erronées. Car ce sont ces manières qui ont développé votre insensibilité et nourri votre indifférence à cette souffrance.
Ainsi, Jésus approuve et encourage cette initiative. Quelle bonne nouvelle pour nous! Le Seigneur approuve les gens qui se mobilisent et surmontent tout obstacle, pour libérer les personnes paralysées des situations qui freinent leur épanouissement. Puis, les oriente vers des stratégies victorieuses de ces barrières.
Quel encouragement face aux diverses formes de pratiques racistes subies et qui paralysent les discriminé.e.s dans leur chair et dans leur âme!
Le ton utilisé dans l’interpellation au sujet de la nature des pensées motivant les spécialistes de la loi est très significatif. Elles sont un héritage religieux. Avec délicatesse, mais fermement, Jésus leur présente la vérité censée sous-tendre leur attitude face aux paralysies dont les humains autour d’eux sont porteurs.
Ainsi, quand l’espérance en la guérison côtoie l’indifférence, et surtout l’insensibilité découlant des programmations erronées développées au cours des siècles, une démarche de conscientisation et d’information est recommandée. À la suite de Jésus, il est question pour les leaders chrétiens d’envisager des actions de sensibilisation et d’éducation en fonction des types de résistances, selon les institutions en présence. Celles qui se livrent au profilage racial ont développé des habitudes dont la manifestation est différente de celles des recruteurs ayant la difficulté à se défaire de la croyance selon laquelle « l’intelligence est hellène » (Léopold Sédar Senghor).
Dans cette lutte, Marc encourage : vous n’êtes pas seuls! L’ouvrage sera de longue haleine. Mais la graine semée germera et produira de beaux fruits : empathie, compassion, acceptation de l’autre, ferments de l’inclusivité.
Cependant, pour racheter le temps, la synergie est nécessaire. Les actions d’éducation devront également cibler les discriminé.es qui ont autant bâti des réflexes négatifs les desservant. La paralysie touche nombreux membres des communautés afrodescendantes. Elle a pour nom le complexe d’infériorité. On peut la désigner par manque de confiance. À certains moments, elle prend la forme de l’ignorance, de la défensive. Par exemple, ne connaissant pas ses droits, le jeune Noir ayant intériorisé : « peu importe, ce policier va me filer un ticket », détale dès que l’agent l’interpelle. Il est alors poursuivi pour un fait avéré : délit de fuite. Et le motif premier de l’interpellation? Peut-être n’en parlera-t-on jamais! Avait-il jamais existé? Oh qu’est-ce qu’il faudrait de justice et de changements dans les corps de police (et en nous) pour qu’un jeune qui a ainsi envie de détaler… puisse faire taire sa voix qui lui dit « sauve-toi », devant toutes les expériences d’abus (Camara), qu’il puisse faire confiance, parler sans crainte… et risquer une rencontre? À l’évidence, nous faisons face à deux besoins de libérations, entremêlées mais différentes…
Afin d’aborder le phénomène de racisme et de discrimination dans sa globalité, il sera nécessaire de déconstruire toute perception erronée en démarrant par le démantèlement des pensées paralysantes qui commandent ces réactions automatiques, et aboutir aux activités d’information, de développement personnel en vue de reconstruction intérieure.
En fin de compte, une réflexion engageante s’impose. En tant que disciple du Christ et à sa suite, quelle devrait être ma contribution pour que : pensées erronées, perceptions erronées, préjugés… qui produisent et entretiennent les comportements nocifs pour soi, ou contre les autres soient déconstruits ? Quel sera mon apport pour la reconstruction intérieure du porteur de telle ou telle paralysie ? Prenons donc courage, armons nous de détermination, de bravoure, avec foi… en celui-là qui soutient la mobilisation communautaire pour l’éclosion d’une vie épanouie.
– Albertine Chokoté Naoué
Albertine Chokoté Naoué est laïque, théologienne bibliste (PhD). Membre du CA de La Table des ministères en français, elle occupe le poste de trésorière au sein de son exécutif. Elle est originaire du Cameroun et réside à Toronto où elle est directrice de Connexion Verte, OSBL dont elle est fondatrice. En Ontario, cette organisation communautaire œuvre pour l’inclusion la plus équitable possible des membres des communautés noires francophones, afrodescendantes natives ou nouveaux arrivants, dans leur nouvel environnement d’accueil.
Les opinions exprimées dans les blogues sont celles de l’auteur et ne représentent pas nécessairement le point de vue de l’Église Unie du Canada.