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Parler d’Haïti, si loin et si proche

 

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| par Suzanne Grenier |

En haut, logo de la campagne internationale pour la défense des droits du peuple haïtien. En bas, manifestation populaire demandant la démission du président Jovenel Moïse, le 20 octobre 2019 (Source: AP Photo/Rebecca Blackwell).

 

À la veille de Noël, la gravité de la situation pour la population en Haïti et pour les demandeurs d’asile au Canada appelle notre non-indifférence.

L’Église Unie du Canada s’associe à une mobilisation internationale pour la défense des droits du peuple haïtien.

 

Les médias rapportent parfois des nouvelles touchant des populations de l’autre bout du monde, et cela reste une réalité distante que l’on a peine à ressentir, à rendre tangible. Cela est de moins en moins vrai, il faut le dire. Notre monde prend conscience – trop souvent à la suite de chocs – de son interdépendance.

Vu du Québec et du Canada francophone, pour bien des gens, ce qui se passe en Haïti produit tout particulièrement cet effet d’étrange proximité. La situation qui s’aggrave dans ce pays des Antilles paraît difficile à suivre, à comprendre. Somme toute, on en parle peu. La présence, ici, de générations anciennes et récentes de la diaspora nous rappelle en même temps qu’Haïti fait partie de nos vies. Ces personnes contribuent sur plusieurs plans à la société d’ici et ont fait preuve d’une grande résilience pour s’y intégrer dans une diversité de domaines. En grand nombre elles ont été ces « anges gardiens » qui ont prodigué des soins aux personnes vulnérables et aux malades durant la pandémie, en prenant elles-mêmes des risques. Plusieurs travailleuses et travailleurs d’origine haïtienne sont fragilisés dans des services essentiels mal payés et moins visibles, par exemple la transformation alimentaire.

L’Église Unie du Canada, comme membre de la Concertation pour Haïti (CPH), vient de s’associer à une mobilisation internationale pour la défense des droits du peuple haïtien : « Stop Silence Haïti! ». Plus de 80 organisations (ONG de droits humains et de développement, Églises, regroupements de paysans, féministes, syndicats) haïtiennes, canadiennes, françaises, belges, béninoises, espagnoles, allemandes prennent part au mouvement, et d’autres continuent à s’y joindre.

 

Appauvrissement, corruption, terreur et impunité en Haïti

Alors que la situation interne du pays se caractérise par l’appauvrissement, la corruption, la terreur et l’impunité, il s’agit de relayer l’information provenant de la société civile en Haïti et de changer la politique internationale de complicité et d’appui au gouvernement de Jovenel Moïse.

Le président Jovenel Moïse et son entourage politique ont été mis en cause pour la dilapidation du fonds Petrocaribe de 3,8 milliards de dollars US, destiné à des projets de développement. C’est notamment ce scandale qui a amené la population dans les rues depuis 2018. Non seulement les manifestations sont durement réprimées, comme encore dernièrement à Port-au-Prince, mais de véritables massacres (dont celui de La Saline) ainsi que des vagues d’enlèvements avec demandes de rançon restent impunis. Le bâtonnier du barreau de Port-au-Prince, Me Monferrier Dorval, a été assassiné. La convergence entre la criminalité et les forces policières du pays devient manifeste et pointe vers le gouvernement. Et le président Jovenel Moïse tente de hâter des élections et des changements constitutionnels illégaux, alors que les principales organisations de la société civile s’entendent pour clamer que les conditions actuelles ne permettent pas un scrutin libre et légitime.

Le pasteur Pierre Goldberger, qui représente l’Église Unie au sein de la CPH, voit dans la campagne « Stop Silence Haïti! » un appel à l’action, à la solidarité responsable et à l’espérance pour appuyer le peuple haïtien dans sa volonté de changement, et pour demander une politique plus conséquente du gouvernement du Canada : « L’Église Unie a signé cet appel à la mobilisation internationale dans une perspective de justice, de compassion et de solidarité. Ce sont nos valeurs, selon l’Évangile. Les individus, comités, communautés et réseaux peuvent aussi joindre le mouvement. Ensemble, nous ferons une différence! »

Jusqu’à maintenant, le Canada et les autres membres du Core Group, une instance d’influence internationale, ne se sont pas nettement démarqués de la politique des États-Unis qui, sous le président Trump, ont appuyé Jovenel Moïse – l’élection du président démocrate Joe Biden laisse espérer une réorientation de ce côté.

 

Au Canada et au Québec, une épée de Damoclès

Le gouvernement canadien semble reconnaître la gravité des dangers que subit la population en Haïti, mais ses décisions sont instables et sont loin de créer un climat rassurant pour les personnes les plus touchées. Depuis le 30 novembre, après une pause humanitaire de quelques mois en raison de la pandémie, l’Agence des services frontaliers du Canada a repris les expulsions de demandeurs d’asile. En pleine deuxième vague de la COVID, cette orientation générale paraît absurde. Selon l’information disponible, Haïti ferait toutefois partie de la liste des pays où la situation locale est considérée comme trop dangereuse et dont les ressortissants bénéficieraient d’un sursis. Les perspectives demeurent incertaines, car dans le passé le gouvernement canadien a fait volte-face à plusieurs reprises en cette matière. L’opinion publique, on le constate, a eu un rôle à jouer dans l’assouplissement des mesures d’accueil.

Apparemment, dans tous les cas, les « anges gardiens » demandeurs d’asile inclus dans l’entente Québec-Ottawa ne seront pas renvoyés. Au Québec, les hésitations puis le refus du gouvernement Legault d’élargir ce programme de régularisation du statut au-delà du secteur de la santé laissent planer une épée de Damoclès sur un très grand nombre de demandeurs et demandeuses d’asile.

Marjorie Villefranche, directrice de la Maison d’Haïti et co-porte-parole de la Coalition pour la régularisation des statuts, s’est confiée au Devoir : « Ils choisissent un moment où on ne va pas faire trop attention à ça. C’est dans leur habitude. On est un peu avant Noël, et tout le monde est occupé à autre chose. »

Juste avant Noël, pensons activement aux gens d’Haïti.

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