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Mages, rois et galette

| RUPTURES ET FILIATIONS | HISTOIRE-GÉOGRAPHIE |

| Par Jean Loignon |


Ce texte fait partie de RUPTURES ET FILIATIONS, la démarche exploratoire entreprise par Aujourd’hui Credo en vue de retracer les migrations des symboles, des valeurs et des attitudes associés aux religions à travers les lignes de fracture du monde actuel.


 

Circuit de fêtes païennes, religieuses et laïques est une série de textes historiquement documentés sur le parcours parfois étonnant des rites et des symboles associés à des fêtes datant souvent d’avant le christianisme et que nous célébrons encore aujourd’hui tantôt en France, tantôt au Québec et aussi dans d’autres régions du monde.

À gauche, Saturne tenant une faucille (fresque à Pompéi, photo : Carole Raddato CC BY-SA) ; au centre, représentation populaire des rois Mages (Pixabay) ; à droit, galette des Rois contemporaine (Pixabay).

 

Si le terme « Épiphanie » n’est plus guère connu de la plupart des Français, un de ses rituels est encore massivement pratiqué : en janvier, la France républicaine « tire les Rois » en famille, au bureau ou dans de multiples associations, marquant ainsi la reprise après la coupure des congés de Noël et du Nouvel An. La coutume consiste dans le partage convivial d’une galette ronde et dorée, dans laquelle on a glissé une fève. Le convive qui la trouve est alors proclamé « roi » ou « reine » avec une couronne de carton et s’empresse de désigner un ou une bénéficiaire de son symbolique et éphémère pouvoir. En famille, c’est un enfant – réputé innocent – caché sous la table qui orchestre à l’aveugle la distribution des parts.

Cette sympathique coutume ne porte pas à débats autres que des questions culinaires et régionalistes sur la forme et la composition de la « vraie » galette : plate en pâte feuilletée à la frangipane ici, en brioche percée d’un trou au milieu et parfumée à la fleur d’oranger ailleurs…

Et au Québec? La date de l’Épiphanie faisait évidemment partie du calendrier liturgique catholique, mais c’était plutôt l’occasion d’une bénédiction des enfants; si un souper des Rois avait lieu avec un gâteau partagé, la pratique ne semble pas avoir été systématique. Depuis la sécularisation des années 60-70, le 6 janvier marque plutôt la fin du temps des fêtes, où on défait le sapin et on remet la maison en ordre après les multiples « partys » de Noël.

Pourtant la galette des Rois étire ses origines sur plus de deux millénaires.

L’Antiquité romaine honorait le dieu Saturne, assimilé au dieu grec Chronos (le temps), ce qui donnait une place particulière dans le calendrier à ses célébrations : en décembre, au lendemain du solstice, les Saturnales étaient l’occasion d’une inversion sociale : durant quelques jours, les domestiques et les esclaves se voyaient servis par leurs maîtres et l’un d’eux pouvait être choisi comme roi des festivités par tirage au sort, à l’aide d’une fève. Parallèlement, on s’offrait des rameaux porte-bonheur liés au culte de la déesse Strenna, qui a donné son nom aux étrennes actuelles.

On sait que l’Église ancienne a eu fort à faire pour christianiser les divers cultes solaires du mois de décembre, souvent placés sous le signe du très populaire dieu oriental Mithra. La fixation de la date de naissance de Jésus le 25 décembre répondait à cette préoccupation. Mais une des difficultés rencontrées était la modestie des sources évangéliques relatant la naissance de Jésus. Les Évangiles de Marc et de Jean sont muets sur ce point et ceux de Matthieu et de Luc diffèrent considérablement.

C’est en effet le seul Matthieu qui mentionne l’arrivée à Jérusalem de mages orientaux venant s’informer sur la base de leurs observations astronomiques et donc astrologiques de la naissance « du roi des juifs », déclenchant ainsi l’inquiétude du roi Hérode. Les mages guidés par l’étoile jusqu’à Bethléem trouvent Jésus dans sa maison (et non dans une crèche) et lui rendent hommage par trois présents : pas de galette, mais de l’or, de l’encens et de la myrrhe, autant de références royales et cultuelles. Ils s’en retournent après dans leur pays, tandis que Joseph et Marie fuient se réfugier en Égypte avec Jésus pour échapper au massacre des enfants de Bethléem ordonné par Hérode, soucieux d’éliminer tout rival. Ce récit suit le schéma courant des mythes de naissances royales miraculeuses, prédites par les astres et menacées par les persécutions avant d’être reconnues : l’historien grec Hérodote attribue des faits similaires à la naissance du roi perse Cyrus, le libérateur des Hébreux à Babylone au VIe siècle av. J.-C.

L’imagination théologique va donc se mobiliser pour faire de ces mages des personnages plus consistants : l’auteur chrétien nord-africain Tertulien (150-220) croise le récit de Matthieu avec un passage du Psaume 72 et fait des mages trois rois venus de contrées lointaines, signifiant l’hommage de la terre entière au Dieu d’Israël; au Moyen Âge ces trois rois recevront des noms : Gaspard, Melchior et Balthazar. La géographie de leurs origines sera longtemps flottante, mais peu à peu, au moment où l’Europe s’ouvre au monde outre-mer, Balthazar devient le roi noir. Et en Espagne, les rois mages résistent victorieusement au père Noël dans l’imaginaire enfantin de la distribution des cadeaux.

Leurs présents très symboliques auront permis de christianiser les étrennes païennes et le partage d’une galette des Rois dorée comme un soleil neutralisera les rites d’inversion sociale qui basculeront vers les fêtes de Carnaval.

La Révolution française voulut mettre fin à cette dévotion aux rois honnis et imposer une galette de l’Égalité, sans fève. Mais que peut une Révolution face à une galette? Aujourd’hui, c’est bien elle qui nous introduit en douceur dans la nouvelle année, que je vous souhaite pleine de joie et d’espérance.

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