L'Église Unie du Canada

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Les chemins intérieurs vers un monde libéré et guéri du racisme

 

| ARTICLES ET REPORTAGES |
| par Suzanne Grenier |

 

Au moment où l’Église Unie du Canada s’engage publiquement à devenir une Église antiraciste, cet article offre un rappel historique, des références pour saisir l’essentiel de la démarche en cours et des propos recueillis lors d’un entretien avec Adele Halliday, qui vient d’être nommée responsable de l’équité et de l’antiracisme – un poste de coordination nouvellement créé pour concrétiser cet engagement.

 

 

Le 24 octobre 2020, l’Église Unie du Canada s’est engagée par une motion de son Conseil général à devenir une Église antiraciste. « Cela ne signifie pas que nous ayons atteint cet objectif, a expliqué dans un communiqué le modérateur de l’Église, le pasteur Richard Bott, mais nous prenons une position ferme, nous nous engageons publiquement à éliminer le racisme systémique de nos pratiques et politiques. »

Cet engagement apparaît certes comme un geste significatif au regard du contexte sociopolitique actuel. Aux États-Unis et au Canada, d’une manière particulièrement concentrée, la dernière année a projeté au grand jour des manifestations persistantes d’un racisme que des personnes non racisées pouvaient se permettre d’ignorer – et dont certains continuent en fait de nier l’existence systémique. Récemment, l’Église Unie est intervenue auprès de ses communautés, des médias et des gouvernements pour appuyer les droits des peuples autochtones, dénoncer des situations précises de racisme systémique et se solidariser avec le mouvement Black Lives Matter. Un survol chronologique couvrant plus d’un demi-siècle montre que l’Église Unie n’en est pas à ses premiers pas dans la lutte contre le racisme, pour reconnaître les torts qu’elle a infligés aux populations autochtones et pour se réaliser comme Église inclusive et interculturelle.

 

Nous avez-vous écoutés?

C’est pourtant d’abord parce qu’elle a été ébranlée de l’intérieur que l’Église Unie tient aujourd’hui à nommer le problème d’une manière non équivoque et se donne l’obligation d’agir face au racisme qui perdure en son sein. Le Conseil général de 2018 est considéré comme un moment historique important dans la vie de l’Église. La mémoire conservera les deux heures de prise de parole, non prévues à l’ordre du jour, pendant lesquelles de nombreux participants et participantes noirs, autochtones et racisés ont raconté leurs douloureuses histoires d’exclusion raciale au sein même de l’Église Unie. Malgré tout le chemin parcouru par cette Église, les témoignages appelaient de diverses manières les personnes en position de privilège à envisager la réalité en dehors de la bulle des bonnes intentions. « Nous avez-vous écoutés et pris au sérieux quand nous avons parlé de ce que nous subissons comme personnes à la peau noire ou brune? », avait demandé au cours de la même séance le pasteur Paul Douglas Walfall, un des « observateurs interculturels » mandatés pour assurer la pleine participation des personnes racisées et l’expression des voix minorisées pendant la rencontre triennale où se prennent les grandes décisions touchant l’Église.

On ne saurait résumer en quelques lignes tout ce qui s’est exprimé ce jour-là. Un premier égard, si on souhaite être sensibilisé, serait sans doute de prendre le temps d’aller écouter directement les témoignages (voir le lien plus haut vers l’enregistrement de la séance). Quelques observations sommaires offrent déjà ample matière à réflexion, en vue de comprendre les enjeux qui se rattachent au racisme systémique. Les personnes qui subissent le racisme ont des expériences similaires, mais des identités distinctes et des parcours diversifiés. Lutter contre le racisme, c’est assez évidemment reconnaître cela, mais il faut dès lors prêter attention au rôle que des milieux peuvent vouloir faire jouer aux personnes susceptibles de représenter un groupe racisé. C’est là que se révèle une différence entre l’inclusion purement symbolique et la véritable écoute, où une place est donnée à la personne et à son histoire. Il arrive que les membres d’un groupe dominant, qui bénéficient des privilèges des Blancs, offrent des excuses et demandent le pardon aux personnes racisées, sans accorder d’attention aux blessures et au processus de guérison, et sans accepter de partager le pouvoir et de construire une réciprocité entre personnes à part entière. Quels sont les espaces où, à l’inverse, cela peut se faire? Le racisme, en outre, se présente le plus souvent de nos jours comme un mur invisible. Savoir cela, croire que le racisme existe et crée des dommages importants même si ses manifestations sont discrètes, même s’il se produit dans des milieux qui se considèrent comme bienveillants et où de bonnes choses se produisent aussi, voilà un autre pas à faire, selon ce qu’on peut déduire des témoignages.

 

Michael Blair : « On expérimente, on apprend, on construit… »

Michael Blair, secrétaire général de l’Église Unie. Photo : courtoisie de M. Blair.

Au cours de son histoire à ce jour, l’Église Unie a élu une personne noire au poste de modérateur, mais une seule – le pasteur Wilbur K. Howard, en 1977. Elle a élu une personne autochtone à ce même poste, mais une seule – le pasteur Stan McKay, en 1992. En 2020, elle vient de nommer pour la première fois une personne noire au poste de secrétaire général – le pasteur Michael Blair. Au moment de sceller officiellement son entrée en fonction, celui-ci a rappelé devant le Conseil général que c’est une histoire d’amour qui l’a rapproché à l’origine de l’Église Unie. Il a aussi souligné des étapes significatives de la vie de l’Église qui ont ensuite accompagné son parcours personnel : en 2006, l’engagement à devenir une Église interculturelle, puis, en 2012, l’adoption de Perspectives d’une Église interculturelle pour le réaliser; en 2009, la création du Cercle des ministères autochtones, dont les intendants et les intendantes formuleront en 2018 des Appels à l’Église; au cours de la dernière décennie, la formation obligatoire sur la justice raciale pour tout le personnel. Dans une entrevue qu’il a accordée à Présence info, Michael Blair partage une vision de l’avenir de l’Église Unie où celle-ci est significativement plus diverse qu’elle ne l’est actuellement : « […] à-travers le pays, nos communautés seront des espaces où il y aura un dynamisme sur ce que signifie être un fidèle de Dieu au sein de cette génération. […] On expérimente, on apprend, on construit. »

Depuis 2018, l’Église Unie a mandaté un Groupe de travail sur les privilèges des Blancs et aussi un groupe de travail contre le racisme. Plusieurs éléments de la réflexion en cours sont présentés dans le document En marche vers une Église antiraciste. L’enjeu y est ainsi posé : « […] le travail qu’il faut accomplir pour devenir une Église antiraciste doit donc reposer sur des actions concrètes. Cette démarche doit être intentionnelle et elle doit se refléter tant dans les politiques que dans la pratique. » Ce caractère intentionnel et cette volonté d’action devraient se traduire sur plusieurs plans :

  • Des efforts continus;
  • Un engagement de la part de toutes les instances de l’Église, y compris les conseils régionaux, les communautés de foi, les camps et les ministères communautaires;
  • La formation des leaders;
  • L’intégration des pratiques visant à éliminer le racisme, dans les prières, les prédications, l’interprétation biblique, les ressources pédagogiques, le rayonnement dans les communautés, etc.;
  • Une démarche qui s’appuie sur l’histoire de l’Église et les actions déjà entreprises;
  • Une réflexion permanente sur les fondements théologiques de la lutte au racisme dans l’Église;
  • Une stratégie concrète et un travail distinct selon les différents secteurs de l’Église.

 

Adele Halliday au début d’un nouveau mandat

Adele Halliday, responsable de l’équité et de l’antiracisme. Photo : courtoisie de l’Église Unie du Canada.

Devant la nécessité de coordonner tous ces éléments, le Conseil général a créé le poste de responsable de l’équité et de l’antiracisme. Dans un contexte de restrictions budgétaires et de réduction du personnel, ce geste est une indication des priorités de l’Église Unie. Le choix de la personne qui exercera cette fonction a été annoncé cette semaine. Il s’agit d’Adele Halliday, qui travaille pour l’Église Unie depuis 2004 et a collaboré étroitement aux efforts de l’Église pour contrer le racisme et devenir interculturelle. Lors d’un bref entretien en vue de cet article dans Aujourd’hui Credo, il était manifeste qu’elle avait une compréhension en profondeur des composantes de son mandat. Ses journées à venir vont comporter beaucoup, beaucoup de consultations, de prises de contact et d’échanges de personne à personne (le fait qu’elle a étudié en immersion et communique avec aisance en français facilitera certainement les liens avec les francophones!); de la concertation pour unifier les initiatives dans une stratégie qui tienne compte des contextes particuliers; et au cœur de tout cela, une préservation de la relation avec Dieu, car c’est son œuvre qu’Adele Halliday souhaite être en train de réaliser. La dimension théologique est donc pour elle toujours présente dans ce qui l’anime.

« Souvent, commente-t-elle, on se réfère à des passages bibliques sur l’amour – Aimez-vous les uns les autres – lorsqu’il est question de contrer le racisme. Tout cela est vrai, et j’y crois. Mais je suggère que nous ajoutions à cela des éléments théologiques, disons… plus robustes. Un de mes passages préférés se trouve dans Marc 7 et Matthieu 15, où Jésus, dit-on, guérit la fille d’une femme étrangère. Cette histoire soulève plusieurs questions, concernant la dynamique de genre et les privilèges liés à l’appartenance ethnique – un homme juif s’apprête à décider du sort d’une femme cananéenne ou phénicienne marginalisée, en disant des paroles qui pourraient s’apparenter à une insulte raciste. J’en retiens deux choses. D’une part, devant un refus apposé à sa demande, elle se montre sans gêne et insistante. Elle persiste dans l’affirmation de ce qui est à ses yeux important. Puis, le passage nous fait voir Jésus, d’abord dans la posture de celui qui traditionnellement possède le pouvoir, mais qui accepte ensuite d’être transformé. »

***

La décision prise par le Conseil général est certainement un moment historique pour l’Église Unie, qui souhaite préparer le chemin pour les autres confessions religieuses au Canada et ailleurs. Il s’agit d’un choix actif qui doit s’actualiser tous les jours dans la vie de son ministère. L’atteinte d’une communauté juste sur le plan racial exige de la persévérance; les membres de l’Église Unie ont manifesté leur volonté d’aller clairement en ce sens, dans un esprit d’ouverture plutôt que de défense.

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