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Le crucifix à l’Assemblée nationale, symbole de quelles valeurs?

| À PROPOS |

| Par Éric Hébert-Daly |

 

Au regard tant de la tradition que de l’expérience de la foi chrétienne, les raccourcis du discours identitaire réfractaire à ce qui vient d’ailleurs mènent à un appauvrissement.

Dans le débat actuel sur la laïcité, le premier ministre François Legault tient à établir une distinction entre le crucifix qui surplombe les travaux de l’Assemblée nationale et les signes religieux qui menaceraient la laïcité de l’État. « In our past we had Protestants and Catholics. They built the values we have in Quebec. We have to recognize that and not mix that with religious signs », a-t-il déclaré.

Des ethnologues ont expliqué que l’Assemblée nationale n’est pas un endroit indiqué pour conserver un objet patrimonial dans l’optique d’en favoriser l’interprétation historique. Mais tout n’est pas si net dans les propos de M. Legault. Quand il évoque des bâtisseurs catholiques et protestants puis les valeurs appartenant à un « nous » du Québec d’aujourd’hui, le chef du gouvernement prend des raccourcis et demeure très flou. À partir d’un aspect précis – la confusion entre le crucifix et la croix – j’aimerais montrer que ce type de rhétorique identitaire tend à atrophier notre compréhension du monde et à nous appauvrir culturellement.

 

Le crucifix et la croix

L’objet qui se trouve à l’Assemblée nationale est un crucifix.

Un crucifix consiste en l’image de Jésus attaché à la croix, souffrant, parfois mort. La croix, qui présente deux morceaux de bois liés, renvoie à l’outil de torture et de mise à mort utilisé dans l’Empire romain et sur lequel Jésus a perdu la vie. Quand nous faisons référence au crucifix, Jésus y est. Quand nous faisons référence à la croix, Jésus n’y est pas.

La majorité des communautés de foi chrétienne de tradition protestante choisissent la croix comme symbole. Elles ne mettent pas l’accent sur la souffrance de Jésus, mais plutôt sur la résurrection, symbolisée par la croix simple. Celle-ci est un signe d’espoir et de reconnaissance que la mort n’a pas le dernier mot.

D’ailleurs, il ne faut pas oublier que la réforme protestante amorcée au XVIe siècle a rejeté l’utilisation des images, des sculptures et des peintures dans les églises, car elles étaient perçues comme des idoles. Certains croyaient aussi que l’utilisation des images pourrait limiter notre perspective de l’esprit divin, plus grand que ce nous pouvons (et devons) capter dans un œuvre d’art.

L’Église catholique romaine et certaines Églises anglicanes utilisent davantage le crucifix, qui met l’accent sur la souffrance de Jésus. Le symbole peut toucher tous ceux et celles qui vivent des moments de difficulté, car il permet de regarder Jésus souffrir, de voir que Dieu a vécu la souffrance et la connaît bien. C’est un moyen de ne pas se sentir seul dans sa douleur.

Les deux images peuvent servir la communauté chrétienne dans son ensemble, mais il est réducteur de faire du crucifix à l’Assemblée nationale un héritage catholique et protestant.

 

Du symbole à l’expérience de la foi chrétienne

Qu’est-ce qui nous rattache à un symbole? De quelles valeurs un symbole est-il porteur?

Certes, le fait de porter une croix ou un crucifix est une façon d’exprimer notre foi. Pour moi, le port d’une croix n’est toutefois pas essentiel à l’expérience de ma foi chrétienne – celle-ci se révèle plutôt dans ma façon de vivre avec mes voisins.

Le voile porté par certaines femmes musulmanes, le port de la kippa par les hommes juifs, ou du turban par les hommes sikhs, contribuent à la diversité culturelle du monde d’aujourd’hui. J’éprouve un sentiment de frustration quand le crucifix est récupéré par un discours qui cherche à justifier l’exclusion et à servir des politiques qui me paraissent enracinées dans une peur de l’étranger.

Pourquoi, au fait, le gouvernement veut-il préserver cet objet patrimonial?

 

2Réponses

  1. Gérald Doré says:

    Merci pour cet article. Il complète et remet dans l’actualité celui de Philippe Vaillancourt dans Aujourd’hui Credo, Janvier-Février 2014: 20-21. Peut-être vaudrait-il la peine de le republier, puisqu’il reste tout-à-fait actuel dans le présent contexte de reprise du débat.

  2. Porret Jean says:

    Merci pour votre éditorial sur la croix a l’Assemblée nationale, un gros symbole difficile a faire bouger…..Il me semble que dans le cadre des intentions du nouveau gouvernement, la démarche sur les signe religieux vise en priorité une partie de la société fraichemenr arrivée alors que d’autres minorités ont toujours eux un signe distinctif comme ls juifs ou les chrétiens. Pour faire avancer le débat, le gouvernement devrait faire le premier pas de son côté en retriant des lieux publics ou se joue des débats de société comme le parlement, mais aussi les lieux comme les tribunaux, écoles et institutions hôpitaux, tribunaux. Il devrait aussi dans une même foulée parler du lien formel entre société et religion. Les Suisses ou les régions de France comme l’Alscace-Lorraine ont estimé que la religion est d’intérêt public. La polarisation nord-américaine aux États-Unis autour du président actuel pour une part et ici au Québec en particulier avec son histoire passé s’y retrouverait. J’ai eu la responsabilité alors que j’étais directeur de la Pastorale a l’Université de décrocher tous les signes religieux de notre chapelle ou lieu de prière multireligieux, musulmans y compris. Tout s’est fait sans heurt ! Mais au même moment Mc Gill non seulement maintenait ce services aux groupes religieux mais augmentait aussi le montant accordé. Il faut aussi accorder aux signes religieux publics un respect de mémoire !
    Ne focuser que sur le modèle dit de laicité ouverte ou fermée polarise les options et les politise trop facilement comme en Bavière actuellement avec les signes de la croix ou en Suisse ou les croix sont vandalisées sur les montagnes.!!!!!.
    Actuellement, la droite conservatrice en fait un outil de légitimation, mais quand la situation arrive devant un tribunal, comme ici avec les morts à la mosquée de Québec, les arguments montent et se polarisent dans les extrêmes. ! Merci de soulever de telles questions qui ont une raisonnance particulière ici au Québec de par son histoire unique en Amérique du nord. !

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