| SÉRIE D’ARTICLES DE PATRICIA LISSON |
Une réflexion pratique sur l’espoir et le potentiel adaptatif de la foi.
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Qu’il s’agisse du climat, de la rencontre des cultures ou de la portée inouïe des nouvelles technologies, la vie d’aujourd’hui amène d’importantes transformations. Le « changement » est un leitmotiv dans le discours public; avec cynisme ou par lassitude, certains diront pourtant que la nature humaine est telle que tout est du pareil au même, et que nous ne progressons pas. Savons-nous nous adapter à ce qui évolue ou, parfois, bifurque? Avons-nous les dispositions de l’esprit, le savoir-être pour prendre part sereinement à la mouvance des choses? En quête d’un monde meilleur, que bâtissons-nous? Quels sont nos modèles, nos méthodes et nos outils? Qu’est-ce qui nourrit l’espoir, et où celui-ci nous mène-t-il?
Dans la suite de textes réflexifs qui composeront L’âme de nos communautés, Patricia Lisson contribue à ce questionnement à partir de son parcours au sein de l’Église Unie. Elle s’adresse à la diversité des communautés de foi, qu’elles soient en phase de croissance ou de décroissance, et à quiconque travaille avec une perspective ouverte à recréer des milieux de vie bienveillants dans ce monde mouvant.
Ce premier article de la série parle d’une démarche de discernement – personnelle, puis collective – et conduit à la notion de « changement de paradigme ».
EN TANT QUE CROYANTS, unis par notre foi en la puissance transformatrice de la résurrection, nous formons un peuple pascal. Nous sommes dès lors appelés à accomplir le travail que Dieu nous a confié : nous engager résolument dans nos milieux de vie, écouter les personnes qui s’y trouvent, les encourager et aviver l’espoir. Cette série d’articles s’articule à un défi, celui d’engendrer des communautés ayant une vision commune, où règne la compassion, qui sont dotées d’un esprit créatif et collaboratif, et qui montrent du courage; des communautés enracinées dans l’espoir.
Je suggère de voir ce défi comme un cheminement pour mieux comprendre les difficultés auxquelles nos milieux sont confrontés et pour réimaginer ce qui est possible.
Saurons-nous répondre à l’appel?
Le parcours de vie, un outil de discernement
Enfant, on m’a encouragée à cheminer dans la foi aussi bien à la maison que dans ma paroisse de l’Église Unie. L’une des premières leçons que j’ai apprises a été l’importance de l’apprentissage et du travail, non pas en vase clos, mais au sein de la communauté. Dans le contexte des changements sociaux et politiques exceptionnels qui se produisaient dans les années soixante, j’ai opté pour une théologie nouvelle et transformatrice. Quand j’ai quitté la profession médicale pour exercer un ministère dans l’Église Unie, l’une de mes premières tâches a été d’établir un parcours chronologique de ma vie et de mon cheminement de foi. Je me suis alors demandé : « En quoi le fait de parler de ma vie a-t-il un lien avec l’apprentissage de la théologie ou l’exercice d’un ministère? » Ce fut difficile, mais en me rappelant mon histoire et en la racontant, j’ai finalement pu dresser un portrait de la personne que j’étais, et des communautés dont je me sentais responsable.
Cet exercice a constitué l’une des découvertes les plus révélatrices, les plus motivantes et les plus importantes qui soit, puisque cela m’a permis de comprendre pourquoi je suis la croyante que je suis. J’y ai trouvé des éléments de réponse qui m’ont fait comprendre pourquoi la professionnelle de la santé douée d’un sens pratique que j’étais est devenue celle qui voit le monde à travers le prisme théologique de la compassion et de la grâce. Un tel changement de point de vue est susceptible de modifier le champ de vision d’une personne. Ce fut pour moi l’occasion d’envisager que Dieu a une œuvre en cours et que j’étais invitée à y participer, pour paraphraser Rob Dalgleish du réseau EDGE de l’Église Unie. À partir de là, l’exercice de mon ministère m’a amenée à travailler dans le centre-ville d’Halifax et de Toronto, à réaménager des propriétés de l’Église, à participer à ses assemblées décisionnelles, et à exercer mon ministère en milieu rural dans les Cantons de l’Est, au Québec, et dans un ministère communautaire, dans le quartier de Pointe-Saint-Charles, à Montréal. Tout au long de mon ministère, des transformations sociales et institutionnelles ont eu lieu, tant dans l’Église Unie du Canada que dans la société. Des membres de l’Église ont accueilli avec joie certains de ces changements, tandis que d’autres y ont résisté. Les enseignements que j’ai tirés de tout cela ont été étonnants, difficiles et transformateurs. En fin de compte, j’ai appris que les personnes croyantes sont résilientes, attentionnées et ouvertes à l’amour bienveillant de Dieu, et que c’est l’espoir qui les nourrit, individuellement et collectivement.
L’espoir qui fait vivre et grandir
En 2018, à Montréal, j’ai mis sur pied et codirigé les ateliers L’Âme de nos communautés — Engendrer des quartiers riches d’espoir. Je souhaitais alors, et le souhaite toujours, insister sur l’espoir qui nous fait vivre et grandir. La foi n’est pas de ce point de vue une série de vieilles doctrines que l’on range sur les étagères poussiéreuses d’édifices religieux, mais un organisme vivant, susceptible de générer de nouvelles façons d’exercer un ministère.
Dans mon travail avec les communautés de foi, j’ai compris que, pour savoir qui nous sommes, il est important de dépeindre la manière dont l’Église est présente au sein de la société. En raccordant les fondements impérissables de notre foi à des convictions nouvelles, inusitées, brillantes et emballantes, nous arrivons à découvrir le travail que Dieu nous a confié et ce à quoi il nous appelle.
En quoi consiste donc un milieu vivant riche d’espoir? Certaines questions toutes simples nous entraînent dans des discussions complexes. Et cette situation est particulièrement marquée depuis que l’Église Unie du Canada a entrepris des changements organisationnels importants.
Quand survient un changement de paradigme
Comme la majorité des gens et des organisations, l’Église Unie fonctionne à l’intérieur d’un paradigme, c’est-à-dire un cadre caractérisé par un ensemble standard de croyances et d’idées qui définissent la façon dont la communauté est formée. Cependant, comme bien souvent dans la vie, les changements dans notre Église et dans le monde font en sorte que surgissent des anomalies. Et il arrive que ces anomalies s’enchaînent et mènent au bout du compte à une crise : le monde change alors de façon draconienne. C’est ce qu’on appelle un changement de paradigme, c’est-à-dire un changement important dans la compréhension du monde et dans la façon dont il fonctionne.
C’est Thomas Kuhn, un philosophe des sciences américain, qui a introduit ce concept dans son ouvrage The Structure of Scientific Revolutions, paru en 1962. Il y parlait d’un changement des hypothèses sous-jacentes, ou paradigmes, de la théorie partagée par un groupe de scientifiques. Entre autres aspects, le philosophe se servait d’illusions d’optique pour donner une idée du choc et de la stupéfaction qui accompagnent un changement de paradigme. Le concept a depuis été utilisé dans plusieurs contextes, y compris dans la pensée religieuse.
Le récit pascal offre une illustration parfaite d’un changement de paradigme dans le contexte biblique. La conception théologique du changement de paradigme – ou la transformation – y est centrée sur le repas que les disciplines prennent avec Jésus qui, à cette occasion, leur offre une vie nouvelle dans le contexte de la Parole de Dieu, du Saint-Esprit et de la prière.
Une bouffée d’air frais
Dans l’Église Unie, un changement de paradigme important est survenu en 1988 lorsqu’au 32e Conseil général, deux déclarations ont été faites concernant l’orientation sexuelle, le statut de membre de l’Église Unie et le leadership au sein de l’Église. Le Conseil général a alors déclaré que « toute personne qui professe sa foi en Jésus Christ et son obéissance à celui-ci est invitée à devenir ou à demeurer membre à part entière de l’Église Unie du Canada, indépendamment de son orientation sexuelle » et que « toutes les personnes membres de l’Église Unie du Canada peuvent être ordonnées ».
Neuf ans plus tôt, alors que je venais de devenir diacre, on avait soumis aux paroisses de l’Église Unie le nouveau concept d’inclusion sexuelle – qui n’était pas encore très bien reçu – en déposant un document d’étude de l’Église. J’avais à cette époque été nommée à la charge de la Brunswick Street United Church, à Halifax, et on m’avait confié la tâche de discuter de ce document provocateur avec un groupe de jeunes adultes, membres et non-membres de l’Église. À la lecture du texte en question, les participants à la séance étaient restés silencieux pendant un bon moment. Même si j’étais au fait de son contenu et savais comment j’allais procéder ce soir-là, le silence du groupe m’a littéralement désarçonnée. J’ai fini par lancer : « Merci, mon Dieu! Nous commençons enfin à discuter de sexualité et de sexe dans le contexte de notre foi. » Ce fut comme une bouffée d’air frais qui déferlait sur la salle et soudain, chacun avait quelque chose à dire. Tous étaient ravis d’avoir l’autorisation d’explorer la sexualité du point de vue de la foi. Au cours des neuf années suivantes, les discussions sur la question de l’orientation sexuelle dans l’Église ont été tour à tour passionnées, empreintes de peur, joyeuses, blessantes et remplies de menaces. Puis, à notre grande surprise, le Conseil général de 1988 a déclaré que l’orientation sexuelle n’était pas un obstacle pour devenir membre de l’Église ou y exercer un ministère, qu’il soit ordonné, diaconal ou laïque. Que s’était-il passé? Les personnes qui ont assisté à l’assemblée et voté m’ont dit qu’elles avaient été touchées par le Saint-Esprit; elles n’avaient pas eu d’autre choix que de voter oui. Pour l’Église Unie, accepter la légitimité des modes de vie différents de ceux des hétérosexuels a été un tournant de son histoire.
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Dans le prochain article de L’Âme de nos communautés, je m’attarderai aux caractéristiques de ces moments charnières – des axes dans notre parcours personnel ou collectif autour desquels nos vies passent d’un monde à un autre. Et je poserai la question : comment en être des participantes et participants actifs, et vivre un changement de paradigme?