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L’âme de nos communautés 5 | Retour à la Maison… Saint Columba

| ENTREVUE AVEC PATRICIA LISSON |

| par Suzanne Grenier |


Une réflexion pratique sur l’espoir et le potentiel adaptatif de la foi.

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Patricia Lisson a amorcé l’automne dernier dans Aujour’hui Credo une série d’articles de « réflexion pratique sur l’espoir et le potentiel adaptatif de la foi ». Ces textes revisitent de manière synthétique le contenu d’ateliers qui ont eu lieu au cours des années récentes avec des leaders de communautés de foi.

Un cinquième article portant sur le leadership avait été annoncé, mais la COVID-19 est venue chambouler les plans. En effet, la pasteure retraitée mais encore très active a été appelée à revenir prêter main-forte à la Maison Saint Columba, un ministère de l’Église Unie qu’elle connaît bien pour en avoir été la directrice durant presque 10 ans.

Ce travail maintenant prioritaire auprès de populations vulnérables du quartier Pointe-Saint-Charles ne laisserait évidemment plus de temps pour la rédaction. L’auteure a accepté la proposition d’Aujourd’hui Credo de transformer le projet d’article en entrevue, et d’en profiter pour sonder dans le concret, in situ, une des questions de départ de la série : « Savons-nous nous adapter à ce qui évolue ou, parfois, bifurque? ».

Ce plongeon en pleine réalité éprouvante sera l’occasion d’approfondir des thèmes charnières déjà abordés dans L’âme de nos communautés : les changements de paradigme, la capacité de se définir comme participants actifs, la reconnaissance de nos peurs et la présence au monde par une démarche spirituelle. L’exercice se fait avec relativement peu de recul en ce moment. Au fil de la conversation, Patricia Lisson nous suggérera néanmoins quelques autres repères pour manœuvrer dans un courant tumultueux et traverser la crise.

 

Patricia Lisson. Photo : Église Unie du Canada.

 

Nous connaissons les conditions générales de la pandémie Covid-19, mais quelles ont été les circonstances particulières de votre retour, Patricia Lisson, dans l’équipe de direction de la maison Saint Columba?

Parmi d’autres mesures adoptées d’urgence pour soutenir les communautés de Pointe-Saint-Charles devant la COVID-19, l’équipe en place a eu au départ la sagesse de reconnaître qu’elle avait besoin d’aide. Depuis l’automne dernier, la directrice générale était en congé de compassion. De manière temporaire, les tâches s’étaient réparties parmi quatre employés déjà à temps plein. En février, il était apparu que la surcharge devenait excessive; le président du conseil d’administration de la Maison m’avait approchée et j’avais ouvert la porte à un retour d’une journée par semaine pour les aider et pour alléger le fardeau de l’équipe en place. C’est alors que nous avons été frappés de plein fouet par la COVID-19. Le conseil d’administration m’a alors demandé de passer de un à trois jours semaine.

 

Comment cette crise a-t-elle donc été abordée par la direction de la Maison Saint Columba?

Bien sûr, il a fallu évaluer où nous en étions, puis réorganiser tous nos programmes, et pour des raisons sociosanitaires, de même que pour respecter les arrêtés ministériels du gouvernement du Québec, interrompre certains d’entre eux. Les premières semaines ont impliqué beaucoup de discussions et d’allers-retours au sein de l’équipe élargie. Une partie du personnel à temps partiel a malheureusement dû être mise à pied, mais nous avons conservé un noyau solide, le cœur des services essentiels. Ce sont là toujours des décisions difficiles. Au cours de cette première phase, les questions que nous devions nous poser étaient : quels sont les services essentiels, et comment les assurer?

Ce qui est d’abord ressorti très clairement, c’est qu’il fallait maintenir notre programme de sécurité alimentaire. Avant la crise, chaque jour, nous faisions la livraison d’une vingtaine de repas à domicile et nous servions des repas chauds pour 60 ou 70 personnes dans notre salle à manger. Il fallait donc nous adapter aux exigences de distanciation sociale. De 50 à 60 repas sont maintenant livrés quotidiennement à domicile (une augmentation de presque 300 %), et les dîners chauds, depuis cinq semaines, sont servis à la porte de la Maison Saint Columba plutôt qu’à l’intérieur. Cela nous demande des efforts surhumains.

En vue d’une deuxième phase, il fallait considérer ce qu’il adviendrait de tous nos autres programmes, auprès des jeunes enfants, des enfants d’âge scolaire, des adolescents, des adultes ayant des déficiences intellectuelles et pour certains un handicap physique, et des aînés de Pointe-Saint-Charles.

 

Comment s’exerce le leadership dans ces circonstances comportant une large part d’incertitude?

Le leadership, à mes yeux, repose pour beaucoup sur la consultation des personnes impliquées, qui ont une vision rattachée à leur savoir-faire. Par exemple, ce sont les membres expérimentés du personnel qui m’ont amenée à réaliser qu’il était important, pour limiter les risques d’une contagion qui s’étendrait à tout le personnel, de créer deux équipes qui travailleraient en alternance au service alimentaire, sans contact direct, chacune une semaine sur deux. La semaine où une équipe n’est pas affectée au service des repas, ses membres s’occupent de maintenir le contact à distance, depuis la maison, avec les participants aux programmes dont ils ou elles ont la responsabilité.

Tout ce temps, nous avons évidemment suivi les consignes et les directives des instances de santé publique. Heureusement, à Pointe-Saint-Charles, nous pouvons compter sur une clinique de santé communautaire et sur l’organisme de concertation Action-Gardien, hérités des mouvements de participation citoyenne qui ont toujours été très actifs dans ce quartier et auxquels la Maison Saint Columba est très étroitement associée. Nous continuons à travailler avec une diversité de partenaires, et cette collaboration constitue un grand atout pour bien traverser la crise actuelle.

 

Sur quels plans le réseautage communautaire s’est-il surtout révélé utile?

D’abord, je voudrais souligner que les alliances dont la Maison Saint Columba et la population de Pointe-Saint-Charles bénéficient en ce moment ne sont pas apparues par génération spontanée dans l’urgence. Ce sont des relations de voisinage très enracinées. La confiance et la connaissance du milieu se sont développées au fil du temps, notamment à travers Action-Gardien.

À l’arrivée de la pandémie, il y avait donc déjà des moyens en place pour discerner les besoins des gens du quartier, en considérant leurs profils diversifiés. De plus, le fait de travailler en réseau, de coopérer, a permis d’éviter de dupliquer les initiatives. Sur ces deux plans, nous partageons l’information. Cela favorise la complémentarité des services et des expertises, et au bout du compte une meilleure protection des groupes vulnérables. Enfin, l’existence d’un solide réseau communautaire a facilité la distribution du financement gouvernemental d’urgence, auprès d’acteurs du milieu crédibles et susceptibles d’en faire un bon usage.

 

Comment se déroule la deuxième phase, touchant l’éventail des programmes?

Le groupe Connexion aîné.e.s se réunit tous les vendredis, sur Zoom, et un groupe de discussion politique tient de semblables rencontres depuis trois semaines. Nous avons maintenu la communication – par téléphone, Zoom, Facebook, WhatsApp, etc.  – avec toutes les familles de l’école alternative et du programme Après-école. Ces jours-ci, nous avons commencé à repenser l’offre des programmes pour les semaines à venir, puisqu’un retour des enfants à l’école est envisagé. Nous nous informons auprès des parents de leurs intentions, et nous devrons encore faire preuve de leadership dans cette situation qui évolue. Il se pourrait bien que nous réorganisions nos équipes à cette fin. Le programme Après-école reprendra sans doute, mais à échelle réduite. Il semble que la majorité des parents souhaitent la réouverture de l’école alternative, pour les enfants d’âge préscolaire. Normalement, à la fin juin, commencent nos camps de jour. Déjà les parents d’environ 25 enfants ont manifesté leur intérêt. Nous attendons de voir quelles seront les décisions de la Ville et des autorités sanitaires au sujet de ces activités. Il y a encore beaucoup d’incertitude.

 

Quels autres aspects du leadership doivent être mis en œuvre à cette étape?

Comme rien n’est complètement défini mais que les enjeux sont grands, il est particulièrement important d’être à l’écoute des besoins du milieu, tout en envisageant ce qui s’en vient. Et il est crucial d’être aussi à l’écoute des membres du personnel, pour savoir où chacun en est. Nous venons d’avoir un décès, une employée de longue date, au sein de notre équipe, et ces moments sont très difficiles pour nous tous, émotionnellement. Comme la fatigue commence à se faire ressentir, je tente actuellement de recruter des bénévoles et de la main-d’œuvre à temps partiel pour prêter assistance pour les services en première ligne. En général, nous trouvons ces ressources grâce à nos contacts dans le réseau communautaire de Pointe-Saint-Charles. Parmi les besoins pressants, nous voulons embaucher une personne qui prendra en charge notre atelier de réparation de vélos, où il y a beaucoup de demandes. Connaissez-vous quelqu’un ayant ces compétences?

Il s’agit aussi d’être très sensibles aux signaux, et dans ce cas ceux qui sont liés aux effets de la distanciation sociale. Nous décelons le stress, la peur, l’anxiété, chez les aîné.e.s, les familles, les personnes vulnérables et aussi les autres membres de la communauté. Devant cette réalité, nous allons offrir à partir de la mi-mai un nouveau programme répondant à différents types de demandes : des cours en ligne de méditation de pleine conscience; des séances individuelles avec des psychologues professionnels; et des soins pastoraux individuels dispensés par des pasteurs de l’Église Unie.

Bref, le leadership est fait de plusieurs strates. Tout particulièrement en période de crise, un élément important est de reconnaître que l’on n’a pas d’emblée toutes les réponses. Cela veut dire qu’il faut s’ouvrir à aller chercher de l’aide, à demander du soutien et à prendre en compte l’expertise d’autrui. Ainsi, il faut oser faire des essais, en se préparant à discerner ce qui marche de ce qui ne marche pas – cela avec prudence et en portant une très grande attention, bien sûr. Quand il y a désaccord et que les orientations venant de partout paraissent confuses, c’est probablement le moment de revenir à la base, de se placer en position d’écoute des gens que l’on souhaite desservir et avec lesquels on travaille de près; pour ensuite prendre un peu de recul, pour regarder le tableau d’ensemble et redéfinir les priorités.

Évidemment, quand on exerce des fonctions de direction au sein d’un organisme, il faut aussi connaître les lois en vigueur et ce que nous sommes légalement tenus d’appliquer – par exemple, pour tout ce qui a trait à des situations de violence et de protection de la jeunesse.

Enfin, surtout dans des contextes très éprouvants, les leaders doivent aussi pour pouvoir continuer à jouer leur rôle se constituer leur propre système de soutien – personnel et professionnel si nécessaire – à l’extérieur de leur milieu de travail. Cela vaut pour les pasteures et les pasteurs engagés dans différents types de ministères. Mais attention, cet éloignement salutaire ne veut pas dire qu’il faille s’insensibiliser à ce que vivent les gens dans notre entourage professionnel, car l’empathie demeure une qualité!

Le leadership s’exerce souvent sur une fine ligne d’équilibre, à laquelle il faut apprendre à revenir – car à un moment ou un autre, il arrivera qu’on s’en écarte, ce qui nous forcera à trouver des chemins connus ou moins connus pour regagner une position d’équilibre.

 

Comment la foi oriente-t-elle votre exercice du leadership?

Pour moi, les rôles de pasteure et de gestionnaire communautaire se fusionnent : c’est mon ministère. C’est probablement ma foi qui me permet de traverser les difficultés. Elle me soutient, me donne une vision, nourrit ma compréhension du leadership. Chaque matin, je me centre spirituellement. Cela me fait accepter le fait que je n’ai pas toutes les réponses, et que c’est correct. À la base, Dieu est transformation. Des événements peuvent me causer une grande peine, mais je demeure une personne qui en son âme porte l’espoir et une croyance en la valeur de tous les êtres, dans le mystère de ce que nous sommes, quoi qu’il arrive.

 

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