L'Église Unie du Canada

Menu

La révolution de l’amour

 

Joshua Fernandes a fait partie pendant trois ans du Projet de ministères novateurs, EDGE, au bureau du Conseil général de l’Église Unie du Canada, à Toronto.

Il se décrit en plaisantant comme un militant surmené, en voie de se défaire de l’ego associé aux modèles masculins et à la jeunesse. À cette étape de sa vie, au début de la trentaine, il espère aborder le changement social extérieur en s’appuyant sur une transformation spirituelle intérieure.

Pour l’essentiel, c’est cette réflexion qu’il nous communique dans un témoignage dont Aujourd’hui Credo vous offre la traduction.

Voilà une occasion de prêter l’oreille à des voix qui proviennent de divers contextes culturels et générationnels.

Y aurait-il des résonnances entre nos expériences?

 

| ARTICLES ET REPORTAGES | RÉFLEXION |

| par Joshua Fernandes |

 

Je dédie cette réflexion au défunt pasteur Jim Kirkwood, qui a mené une vie d’amour révolutionnaire et servi de modèle à ses pairs.

 

Lors des rencontres du personnel qui ont lieu tous les mercredis matin, il n’est pas rare que mon patron, Rob Dalgleish, lève le poing dans les airs en proclamant avec enthousiasme et en détachant chaque syllabe : « Ré-vo-lu-tion ».

Nous vivons sans aucun doute à une époque révolutionnaire. Les crises économiques et sociales auxquelles nous faisons face exigent des solutions révolutionnaires, et non des changements progressifs et lents comme ceux que l’on semble généralement apporter aux structures de pouvoir complexes de l’ancien monde… c’est-à-dire le monde tel qu’on le connaissait avant que la pandémie de coronavirus ne mette à genoux la société humaine.

 

La conscience, d’une génération à l’autre

Rob est au début de la soixantaine : il a à peu près le même âge que mon père. S’il est certain que la pandémie nous touche différemment selon la race, la classe socio-économique et le genre auquel nous appartenons et selon notre état de santé physique et mentale, je suis cependant d’avis que l’âge influence particulièrement la façon dont on envisage la reconstruction au vu des problèmes ayant été exposés par cette crise.

Comme la plupart des millénariaux éduqués du début de la trentaine, comme les membres de ma génération et des générations qui suivent, je suis pleinement conscient que notre avenir sur Terre est incertain. L’industrialisation, le consumérisme et la consommation de biens à forte intensité carbonique (comme la viande rouge) par une population mondiale croissante soumettent la planète à de fortes pressions. Ce sont tous des indicateurs de ce que les scientifiques du climat nous annoncent depuis un certain temps déjà. Pour bien comprendre le fossé générationnel, il faut savoir qu’à la naissance de mon père, en 1956, l’Inde, son pays, affichait une population inférieure à 450 millions de personnes. Quant à la population mondiale, elle était de moins de 3 milliards. En l’espace d’une vie, la population de l’Inde est passée à 1,35 milliard et celle du monde, à près de 8 milliards. Mon père, un baby-boomer, a été témoin d’une expansion record de la classe moyenne mondiale, mais il ne vivra pas assez longtemps (du moins je l’espère) pour voir les pires conséquences de l’effondrement climatique.

À une moindre échelle, ma génération se heurte simultanément à des crises liées à l’émergence de l’économie des petits boulots et de la précarité du travail, à l’inaccessibilité croissante du logement et à la polarisation des idéologies politiques. Nous avons désespérément besoin d’une révolution. Nous devons non seulement révolutionner notre économie carbonée, mais aussi notre façon de travailler, de faire de la politique et, fondamentalement, notre façon de vivre en relation les uns avec les autres et avec la planète.

J’étais plutôt inadapté à l’ancien monde.

 

Émerger de l’ancien monde

C’était un monde dans lequel on acceptait la douleur et la souffrance comme des dommages collatéraux de la croissance économique sur laquelle notre société reposait. Pour nombre d’entre nous qui étions suffisamment privilégiés pour consacrer temps et énergie à imaginer comment bâtir un monde plus juste, les répercussions de la pandémie semblaient, au départ, offrir une occasion formidable de changer les choses.

 


C’était un monde dans lequel on acceptait la douleur et la souffrance comme des dommages collatéraux de la croissance économique sur laquelle notre société reposait.


 

Du jour au lendemain, on a vu apparaître à la une de tous les journaux les discours que l’on entendait auparavant en marge de la société ou dans les cercles militants ou dans les groupes de justice sociale. On parlait enfin de l’hébergement des personnes sans abri, de la violence en milieu familial, de l’accès à la nourriture et de la vulnérabilité et de l’isolement social des personnes aînées. Ce qui est embarrassant, toutefois, c’est que le sentiment d’urgence qui nous a incités à repenser notre société n’est pas lié à une prise de conscience soudaine de la valeur intrinsèque de toute vie et de l’importance de ne laisser personne de côté. En fait, nous ne pouvions tout simplement pas nous permettre que les personnes pauvres et vulnérables transmettent le virus à ceux et celles d’entre nous qui occupent une position plus élevée sur l’échelle socio-économique. Nous ne pouvions plus entretenir le mythe de l’individualisme en sachant que le virus pouvait franchir les clôtures les plus élevées ou les portes des restaurants les plus huppés. N’oublions pas que nous formons sur cette planète un seul organisme humain cosmique et que, pour autant qu’on le sache, cette pandémie mondiale, qui fait désormais partie de notre réalité à tous, a commencé à Wuhan avec un seul cas.

Quand George Floyd a été tué par des agents de la police de Minneapolis, le 25 mai, la majeure partie du monde occidental était confiné à la maison et ne pouvait pas détourner le regard. Son meurtre, bien que particulièrement choquant, n’était malheureusement pas le premier du genre, loin de là. Or, comme nous n’avions pas de fêtes d’anniversaire ou de cours au programme, pas de courses à faire, il a fallu faire face à des vérités difficiles à entendre et s’interroger sur les valeurs que l’on souhaite défendre dans ce monde. Ce qui était nouveau, cette fois, et qui pourrait le rester si on saisit ce kairos, cette occasion unique, c’est la détermination individuelle et collective de ne tolérer aucune manifestation de l’idée d’une suprématie blanche dans nos pensées, nos discours et nos actions.

Je suis né au milieu des années 1980, mais j’ai passé la majeure partie de mon existence d’adulte à imaginer avec nostalgie la vie dans les années 1960 et 1970. Je ressens un intérêt que je ne m’explique pas vraiment pour le profond engagement politique associé au féminisme de la seconde vague, le mouvement des droits civiques, le mouvement antiguerre et la prolifération des substances psychédéliques. La mobilisation populaire en faveur de la défense des droits civiques à laquelle on a pu assister à travers le monde en juin 2020 sera sans doute, parmi mes expériences de vie, celle qui se rapproche le plus de l’évolution de la conscience collective observée à l’époque. J’étais reconnaissant de vivre à une époque révolutionnaire.

Ce que je n’avais pas prévu, en revanche, c’était l’immense chagrin, la douleur qui a semblé imprégner chaque cellule de mon corps en voyant la résistance qu’ont opposée certains pays aux soulèvements, en particulier les États-Unis, qui ont employé la force militaire contre leurs propres citoyens et citoyennes. J’ai le souvenir irrépressible d’avoir éclaté en larmes sous la douche un jour. La banale céramique verte qui m’entourait, à laquelle je n’avais jamais prêté attention, est désormais gravée dans ma mémoire comme s’il s’agissait d’un détail d’un souvenir d’enfance marquant. Plus récemment, l’explosion du port de Beyrouth, les feux de forêt mortels en Californie et les décès massifs provoqués dans le monde entier par le coronavirus sont venus accabler encore davantage notre monde. C’est, dans ce contexte, le verset le plus court des Écritures qui me semble offrir le plus de réconfort, « Jésus pleura » (Jean 11,35 NFC), montre que Dieu, dans sa manifestation humaine qui nous ressemble le plus, pleure à nos côtés tandis que nous accueillons la souffrance et le chagrin qui nous affligent dans nos vies personnelles et qui affligent le monde.

Les véritables révolutions se produisent souvent quand une masse critique de personnes ne peut continuer de vivre comme elle le faisait auparavant et s’engage avec détermination dans une voie plus audacieuse, risquant de ce fait les maigres conforts qu’elle avait pour accéder à une vie meilleure et plus juste. La voie explicitement spirituelle que j’ai choisi d’emprunter était, pour moi, un dernier recours, comme c’est le cas pour de nombreuses personnes. À certains égards, je pensais naïvement que ce serait une révolution ponctuelle. Je ne voyais pas nécessairement cela comme une forme d’absolution ou de rédemption, mais plutôt comme un moyen d’obtenir des orientations claires quant à la façon dont il convient de vivre dans notre monde complexe. Malheureusement, cela n’a pas été le cas, même si j’ai trouvé dans ce cheminement un trésor encore plus précieux : je suis devenu partie intégrante d’un groupe dont les membres accordent une grande importance à la communauté et cherchent à servir d’intermédiaires à un amour supérieur.

 

Chaque fois qu’on prête attention à la douleur de l’autre

Dans notre monde, le pouvoir est généralement vu et employé comme quelque chose de coercitif, d’agressif et de bruyant. Dans l’imaginaire collectif occidental, le terme révolution est couramment associé au renversement de dictateurs, aux foules qui scandent des slogans sur la place publique ou à la destruction de statues d’anciens oppresseurs. Je suis favorable à tout cela et je me sens énergisé quand je fais partie d’un groupe qui exige des changements et défend des façons de faire plus justes, mais il existe une forme de révolution plus subtile, plus tranquille, une révolution qui est accessible à chacun de nous, où que nous soyons.

Cet autre type de révolution est gracieux et miséricordieux. C’est sans doute le terme Amour (agapè) qui le décrit le mieux. La pièce Beautiful Struggle, du rappeur Talib Kweli, commence par un monologue dans lequel il affirme que « la révolution est en toi ». J’ajouterais qu’elle se produit en chacun de nous chaque fois qu’on prend soin de l’autre, qu’on lui pardonne, qu’on prête attention à sa douleur et à son angoisse et qu’on s’efforce de renverser les systèmes toxiques de programmation qui sont ancrés en nous. Comme l’a écrit Audre Lorde (écrivaine, poète, féministe et militante afro-américaine – ajout de la traductrice) : « La révolution n’est pas un événement ponctuel. »

Je crois qu’au lieu d’attendre LA révolution, il faut aspirer à faire la révolution de l’amour en se débarrassant progressivement des maux du monde et en étant suffisamment attentif pour déterminer où se situent notre capacité d’agir et notre pouvoir. À partir de cet endroit, ancré dans l’amour infini, nous pourrons faire le travail d’amour et de guérison qui est à notre portée.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *