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La mission SAGE, juillet 2020 :

Sabrina Jafralie, désormais résolument anticonformiste

 


Ce texte fait partie de la série La mission SAGE sur le travail que la  Mission communautaire de Montréal (MCM) et l’Église Unie Saint-James réalisent en étroite collaboration, au centre-ville, pour créer une communauté incluant certaines des personnes les plus vulnérables de notre collectivité.


 

La pasteure Paula Kline, directrice de la Mission communautaire de Montréal (MCM), s’est entretenue avec l’enseignante et militante Sabrina Jafralie dans les semaines qui ont suivi le meurtre de George Floyd. Il sera question dans cet entretien des fissures du rêve canadien, de transformation personnelle, de militantisme pour la justice sociale et des multiples points d’entrée dans une vie de foi.

 

Sabrina Jafralie est enseignante à l’école secondaire Westmount et chargée de cours à l’Université McGill. Elle anime l’école du dimanche de l’Église Unie St. James et milite pour la justice sociale, notamment en s’impliquant au sein de la Mission communautaire de Montréal (MCM). Photo : Naskademini.

 

| par Paula Kline |

Sabrina, nous amorçons la quatrième semaine des manifestations déclenchées par le meurtre de George Floyd. Comment vous sentez-vous?

Je vais bien. Cette semaine est meilleure que la plupart des autres. Je pense que je commence à comprendre ce que je ressens et à trouver un nouveau registre à ma voix, ce qui est intéressant, car j’ai toujours pensé que ma voix appartenait à un certain registre, mais je lui découvre en ce moment plusieurs registres. Dans une conversation récente avec un ami, nous constations comment, en tant que Noirs, nous adhérons au rêve canadien, c’est-à-dire de s’éduquer, de réussir et qu’alors la couleur de notre peau disparaîtra, mais c’est une illusion : beaucoup voient encore ma couleur en premier lieu, et cela malgré les diplômes et la réussite. C’est pour cette raison que je me sens désormais résolument anticonformiste : je me débarrasse des couches de politesse qui nous commandent de faire et de dire les bonnes choses. Je dis aux Blancs : « Je suis la victime de votre problème, mais c’est vous qui avez le problème. » Je me sens donc plus optimiste et j’éprouve un plus grand sentiment de collaboration avec la communauté noire. J’accède à un autre niveau d’existence.

 

En tant que militante et femme de foi, pouvez-vous me dire comment votre foi influence votre militantisme?

C’est ma foi qui me dirige vers ce type d’activités, c’est-à-dire le militantisme. Ce ne peut être que Dieu qui me donne ce désir ardent et dévorant de rectifier les choses. C’est très ennuyeux à certains moments, parce que je ne peux pas l’ignorer. En tant que militante, je me sens comme Jonas : je tombe sur la baleine et elle m’avale, puis je retombe sur la baleine… et je reste à l’intérieur… mais il faut toujours en sortir. J’en perds presque le contrôle de moi-même… certains diraient que c’est le Saint-Esprit… c’est à la fois inspirant, frustrant, créateur. J’en tire, ou plutôt Dieu me permet d’en tirer… la profonde impression d’être en adéquation avec moi-même. En fin de compte, j’ai le sentiment de servir le dessein de Dieu. Lorsque Dieu regarde ma vie, ce que je veux qu’il se dise, c’est : Sabrina a servi son dessein sur cette Terre.

 

Depuis votre arrivée en 2019 à l’ancienne cathédrale méthodiste de la rue Sainte-Catherine, vous êtes devenue un élément important de la communauté de l’Église Unie St. James et de la MCM, en œuvrant comme animatrice de l’école du dimanche, bien sûr, mais aussi en participant à nos rassemblements mixtes (par exemple, à l’occasion de la Journée internationale de la paix, durant laquelle vous avez exprimé votre opposition au projet de loi 21) et en établissant des liens avec un jeune membre de la MCM qui fréquente également l’école secondaire Westmount. Pouvez-vous nous dire comment s’effectue selon vous le mariage entre la vie paroissiale traditionnelle et le travail de promotion de la justice sociale?

Tout d’abord, en ce qui concerne le projet de loi 21, j’y vois un lien étroit avec le mouvement Black Lives Matter, c’est pourquoi j’ai apprécié l’occasion qui m’a été donnée d’exprimer mon point de vue. Il y a un déni du racisme systémique au Québec : quand on commence à discriminer un groupe, comme les femmes musulmanes qui portent le hijab, on s’engage sur une pente glissante. Imaginons un instant la réalité d’une femme musulmane noire portant le hijab au Québec, et toutes les strates de discrimination qui s’accumulent sur cette même personne. C’est presque insupportable de penser à ce qu’elle doit subir.

Le culte et le travail sont en parfaite union… Prenons Jésus, par exemple : les gens qu’il a guéris… même le centurion à la fin de sa vie, ce sont tous des choix radicaux – nous oublions cela dans ce qui est la plupart du temps un christianisme de conformité. Nous restons dans notre confort, alors que Jésus a renversé des tables, affronté les sadducéens et les pharisiens, raconté l’histoire du bon Samaritain. Nous sommes les disciples d’un homme qui aujourd’hui serait probablement considéré comme un terroriste dans certains milieux!

Durant mes études en théologie, j’ai découvert un prêtre et philosophe catholique du Québec, Bernard Lonergan, dont les écrits m’ont beaucoup influencée. Lonergan affirme qu’il existe une multitude de portes et de points d’entrée dans une vie avec le Christ. J’ai commencé à écrire des lettres et à faire des appels avant d’être prête à manifester dans la rue. Nous devons respecter les différents points d’entrée des gens en nous disant que si une personne est prête à faire X, Y sera alors peut-être la prochaine étape. J’ai un jour assisté à un culte pentecôtiste et je ne me suis pas sentie à l’aise, mais c’est moi, parce que mon point d’entrée, c’est la justice sociale. J’essaie toujours de me rappeler que nous sommes toutes et tous faits de merveilles et de grandeurs.

 

De nouveaux termes apparaissent de nos jours pour décrire les minorités, par exemple l’acronyme anglais BIPOC (Black [Noirs], Indigenous [Autochtones], people of colour [autres personnes de couleur]) ou l’expression groupes en quête d’équité qui vise à remplacer le terme dépassé minorités visibles, qui est néanmoins encore fréquemment utilisé dans les médias et par le gouvernement. Qu’en pensez-vous ?

Nous ne devons pas avoir peur des mots. L’expression groupes en quête d’équité peut être adéquate dans un article universitaire, mais elle me semble trop longue et trop lourde. Quand nous parlons des Noirs, disons simplement Noirs. Et Autochtones quand nous parlons des Autochtones… Nos débats sont policés : les gens qui ne font pas partie des communautés minoritaires sont mal à l’aise. Alors ce que je leur dis, c’est : éduquez-vous… apprenez l’histoire des mots Noir, Afro-canadien ou Afro-américain. Le fait que nous ne puissions pas dire les mots Noir, Asiatique ou Autochtone montre le malaise que nous éprouvons les uns envers les autres. La question est complexe. À un certain niveau, les gens veulent être reconnus, ils veulent s’approprier leur récit, et c’est très bien; toutefois, en tant qu’enseignante, je vois souvent des collègues blancs qui font de grands détours parce qu’ils ne veulent pas dire Noir ou Autochtone. Il faut commencer par comprendre pourquoi on utilise ces termes. Quand on politise trop les choses, les gens s’en désintéressent. Le terme groupes en quête d’équité me ferait perdre tout intérêt. Nous devons analyser les mots, pour être à l’aise de les utiliser. Selon moi, le nouveau racisme, c’est quand les gens nient l’existence du racisme.

 

Sabrina, y a-t-il autre chose que vous aimeriez dire à vos frères et sœurs de l’Église Unie?

N’oubliez pas que nous sommes tous appelés à aimer. Qu’est-ce que cela veut dire? L’amour, c’est un acte. Rappelons-nous que Dieu nous a créés dans l’amour. La création est un acte, et nous sommes appelés à mettre l’amour en acte. Cela commence par beaucoup de travail!

 

Merci Sabrina de votre temps, de vos réflexions et de votre inspiration… Bonne chance!

 


Visionner une conversation en anglais sur Youtube entre Sabrina et Mouad, un jeune militant de la MCM qui étudie à l’école secondaire Westmount.


 

 

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