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Jacques Labadie, un pasteur atypique parmi nous

| ARTICLES ET REPORTAGES |

| par Jean Porret |

 

Jacques Labadie et, à droite, une esquisse qu’il a réalisée aux fins d’un projet d’illustration du Notre Père (reproduite avec l’autorisation de la succession).

 

Le dernier chapitre de la vie de Jacques débute avec le départ de sa bien-aimée Louise, l’irremplaçable compagne de sa vie. Tout le monde n’a pas eu sa Louise comme Jacques. Le jour des adieux, il expose une série de peintures abstraites où le blanc et les couleurs du ciel laissent présager que notre vie sur Terre a aussi en haut un ciel. La rencontre qui suivra chez lui confirme que sa vie intense demande une intériorité dévoilée à qui l’écoute. Jacques nous reçoit dans sa chambre d’accueil, se déplace sur un fauteuil roulant, évoque une richesse et une curiosité uniques. Le lieu est clair et la lumière nous dirige vers le couchant avec des icônes longuement méditées par la tradition russe, à laquelle lui-même s’est essayé, puis des portraits de sa bien-aimée et des livres d’érudition religieuse ou historique que Jacques affectionnait particulièrement. Il raconte toute sa vie y compris les points sombres. Mais le pasteur artiste est toujours là en pleine évolution. Nous aurons, dans une autre rencontre chez lui, un repas de Sainte Cène sur la table de la cuisine avec le livre de liturgie, la coupe, le pain à rompre et l’autre moitié pleine de souvenirs de nourriture à manger. Il me dit ne pas avoir communié depuis le départ de Louise, et tout lui manquait encore.

Mon projet d’illustrer le Notre Père lui convient parfaitement. Et la seconde partie de notre chemin commun se fera entre son domicile et l’hôpital et ses nombreux séjours au futur incertain. Jacques saute dans le train en marche et peint quasi furieusement. Il m’enverra par courriel de nuit des dizaines d’esquisses plus inspirées les unes que les autres. Sa réserve cachée est comme un cellier où il livre la dernière cuvée.

Esquisse 1, réalisée par Jacques Labadie aux fins d’un projet d’illustration du Notre Père (reproduite avec l’autorisation de la succession).

Tout commence avec Jésus en deux couleurs, rouge fort et des rayures toutes en longueur. Remarquez les membres du corps qui se dégage, la tête hirsute et claire, les pieds surélevés, les bras élevés, la vie en rouge, la mort en rayures noires. Vie et mort. Et vous diriez que Jésus, c’est Jacques lui-même dans son futur après tant de souffrances dans sa vie personnelle (voir l’esquisse 1).

 

Esquisse 2, réalisée par Jacques Labadie aux fins d’un projet d’illustration du Notre Père (reproduite avec l’autorisation de la succession).

Mais Jacques continue d’envoyer nuit et jour ce qui le libère des différentes paroles du Notre Père. Je commencerai par le mouvement et le passage de la mort à la vie, beaucoup de mort et de vie emmêlés (voir l’esquisse 2).

 

Esquisse 3, réalisée par Jacques Labadie aux fins d’un projet d’illustration du Notre Père (reproduite avec l’autorisation de la succession).

Petit à petit, le noyau s’ouvre. Ce qui était crépuscule se dévoile et devient aube nouvelle. Le demi-cercle pourrait être ce qui nous tient ensemble autour de la table du Seigneur, un sommet et un nouveau départ (voir l’esquisse 3).

Jacques, de son lit d’hôpital, me répétait : « Cela te plaît-il? » Comprenez : Aimes-tu ce que tu vois? Jacques était passé dans sa peinture du concret à l’abstrait : « Il y a du monde qui n’aime pas ». Comprenez : un pasteur croyant n’est pas toujours clair dans sa vie et ses paroles.

Il avait illustré par une belle carte la rencontre décisive de l’Alliance réformée à Ottawa en 1983, puis il a redessiné la croix huguenote qu’il portait toujours dans les célébrations liturgiques et réalisé une esquisse de la grande Jérusalem céleste d’Apocalypse 21 publiée dans La Vie Chrétienne.

 

Esquisse 4, réalisée par Jacques Labadie aux fins d’un projet d’illustration du Notre Père (reproduite avec l’autorisation de la succession).

Jacques a eu ce talent unique de dessiner ce qu’il voulait dire et vivre. Les histoires de vie où chacun dit en détail son vécu ne l’intéressaient guère, ou seulement en stricte intimité. Il allait plus loin. Ses amitiés avec le monde orthodoxe et la mystique le nourrissaient beaucoup depuis des décennies. Les grands débats ecclésiastiques et les disputes querelleuses n’occupaient pas beaucoup son monde. Il cherchait plus loin. Jacques n’a pas eu un long ministère pastoral, mais son message pourrait être comme l’Évangile de Jean : donnez aux paroles de votre vie un corps qui donne sens à travers la souffrance de notre terre (voir l’esquisse 4).

Ce qui m’est apparu remarquable chez Jacques est son émergence finale, avec la capacité de dire en quelques jours son cheminement profond et spirituel.

 


Lire aussi la prédication prononcée par le pasteur Denis Fortin lors des funérailles de Jacques Labadie, le 20 aoùt 2020.

 

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