| Par Joëlle Leduc |
Lors d’un repas communautaire, je me retrouve assise à une table où il n’y a que des francophones. Ce sont tous des retraités. Aucun d’entre eux n’est membre de l’Église Unie. Je les ai tous déjà vus lors d’autres événements locaux, mais on se connait très peu.
Ils savent que je suis pasteure et ils sont curieux. Ils me demandent si toutes les religions croient en Jésus. Ils s’intéressent particulièrement aux différences entre l’Église Unie et l’Église catholique.
La dame qui est en face de moi me demande ce que l’Église Unie dit au sujet de qui arrive après la mort. « Mon mari m’avait toujours dit qu’il viendrait me chatouiller les orteils quand il serait mort… Ça fait 11 ans qu’il est mort et j’attends toujours! », s’exclame-t-elle. Les gens rient, mais la conversation devient sérieuse. « Plus on se rapproche de la mort, plus on s’en inquiète. Nous autres, on a été élevés au catéchisme. Il fallait l’apprendre par cœur, on n’avait pas le choix. Maintenant, les jeunes ont le choix et quand ils posent des questions, je ne sais pas quoi leur répondre. Je ne suis plus certaine comment croire. »
Je me suis peu intéressée à ce qui arrive après la mort. Je suis toujours restée vague sur le sujet quand j’ai eu à prêcher à des funérailles. J’ai commencé mon ministère en servant dans un groupe de jeunes. Les gens de notre paroisse francophone sont aussi relativement jeunes. Ensemble, on s’est demandé comment vivre en tant que croyants… Mais ceux qui sont devant moi se demandent comment mourir en tant que croyants, comment croire devant la mort de leurs conjoints.
L’un d’entre eux exprime son doute : « Croire en quoi? C’est quoi, Dieu? » Il parle de sa femme qui est la personne la plus généreuse qu’il connaisse, mais qui pourtant a le cancer. Puisqu’il refuse de croire en un dieu qui punit les gens qui mènent une bonne vie en leur envoyant des maladies, il refuse de croire en Dieu tout court.
Pendant que d’autres convives entament avec lui une conversation sur les épreuves de la vie, sa conjointe me regarde dans les yeux et me dit qu’elle prie toujours malgré tout. Elle me raconte son cheminement de foi qui me rappelle celui de mes grands-mères, rejetées par leurs prêtres et leurs Églises parce qu’elles « empêchaient la famille ». Pourtant, cette femme n’a pas perdu la foi. Elle fait la part des choses : l’Église est composée d’humains qui ont leurs propres opinions. Dieu est plus grand que ça.
Elle ne voit pas sa maladie comme une punition, mais croit fermement que Dieu a toujours été avec elle dans les épreuves, qu’Il l’a guidée et protégée.

Lumière. Photo : Nick Pang.
Elle me raconte qu’elle a vu en rêve de quoi aurait l’air l’au-delà. Le Royaume de Dieu est comme une grande maison avec plusieurs pièces. Les pièces les plus près de Dieu sont plus lumineuses et les plus loin le sont moins, mais il n’y a aucune pièce qui soit complètement dans le noir. Plus on mène une bonne vie, plus on est dans la lumière.
« Mon mari, je vais l’amener avec moi dans la lumière. Je ne partirai pas avant. Je le sais au fond de moi. Il va venir avec moi dans la lumière. »
L’espoir, ce n’est pas qu’un souhait. L’espoir, c’est la certitude profonde, enracinée dans la foi, d’un avenir lumineux à une date incertaine. C’est cette lueur que je vois dans ses yeux.
Elle ajoute : « Toi, quand je t’ai rencontrée, j’ai senti que tu étais dans la lumière. Tu ne t’en souviens peut-être pas, mais avant ma chirurgie, tu m’as dit que tout irait bien… Et tu avais raison. » Je m’en souviens. Notre échange précédent avait commencé comme une conversation banale :
– Comment ça va?
– Ah! Ça pourrait aller mieux…
– Comment ça?
Alors qu’elle me parlait de sa chirurgie et de ses inquiétudes, au fond de moi, j’avais à ce moment sincèrement la certitude que tout irait bien, et je le lui avais simplement dit comme je le ressentais : « Ça va bien aller. On va se revoir, je le sais. »
Je ne me doutais pas que mes mots d’encouragement auraient un tel impact. Je ne me doutais pas qu’un an plus tard, elle s’en souviendrait et me dirait que ces paroles avaient fait partie des signes qui lui permettraient de reconnaître la présence de Dieu dans son épreuve.
le 30 mars 1992, quand j’ai quitté mon épouse malade (phase terminale de cancer) pour aller travailler « comme d’habitude », je lui demandé : « Ça va aller ? » Elle m’a répondu : » Ça ira. » Je l’ai embrassée et je suis parti. Ce sont les derniers mots que nous avons échangés. Sa certitude dans ces moments-là a fait éclore ma foi.
Wow, Jean! Ton témoignage est désarmant de simplicité et pourtant profond et touchant.