| RUPTURES ET FILIATIONS | HISTOIRE-GÉOGRAPHIE |
| Par Jean Loignon |
Ce texte fait partie de RUPTURES ET FILIATIONS, la démarche exploratoire entreprise par Aujourd’hui Credo en vue de retracer les migrations des symboles, des valeurs et des attitudes associés aux religions à travers les lignes de fracture du monde actuel.
Circuit de fêtes païennes, religieuses et laïques est une série de textes historiquement documentés sur le parcours parfois étonnant des rites et des symboles associés à des fêtes datant souvent d’avant le christianisme et que nous célébrons encore aujourd’hui tantôt en France, tantôt au Québec et aussi dans d’autres régions du monde.
Les luttes sociales et démocratiques françaises au XIXe siècle ont été longtemps marquées par la violence insurrectionnelle. Le symbole historique urbain en est les barricades, lors des révolutions populaires de 1830 et 1848 et de la Commune de Paris en 1871. Un épisode mineur comme l’émeute parisienne de 1832 a été immortalisé par le personnage de Gavroche dans Les misérables de Victor Hugo.
Cette violence sanglante – 25 000 morts en 1871 à Paris! – a pris fin avec la Troisième République, qui institua les libertés civiles fondamentales. Reconnu peu à peu dans ses partis et syndicats, le mouvement ouvrier a policé ses méthodes d’action, tout en veillant à sa visibilité publique. Le drapeau rouge, concurremment au drapeau tricolore officiel, des usages comme celui de s’appeler « citoyens » ou « camarades » entre militants, de se saluer le poing levé, les commémorations ont constitué un vaste champ de symboles qui nécessairement a fait écho avec les références chrétiennes très majoritaires en France. Ainsi en est-il de l’adoption du 1er mai comme journée d’action puis fête des travailleurs, qui se rattache à un épisode du mouvement ouvrier américain. En mai 1886, une grève à Chicago fut lancée par les Chevaliers du travail. Le 4 mai, une bombe explosa parmi des policiers. On accusa sans preuve les leaders de la grève, qui furent pendus. Trois ans après, l’Internationale ouvrière choisit le 1er mai pour honorer en Europe les « martyrs de Chicago ». En 1891, la manifestation dans la petite ville industrielle de Fourmies (Nord) tourna au drame : les soldats ouvrirent le feu, tuant 9 manifestants, dont des femmes et des enfants. L’événement connut un grand retentissement et renforça en France l’importance du 1er mai et de la martyrologie sacrificielle pour l’amélioration du sort du plus grand nombre.
Après la Première Guerre mondiale, le Parti communiste français s’imposa durant 80 ans comme un acteur de premier plan dans le mouvement social et politique. Il est remarquable de constater que ce parti se constitua en France comme une Église concurrente, aux rituels inconsciemment décalqués sur l’Église catholique : organisation très hiérarchisée et autoritaire avec infaillibilité des chefs, culte stalinien de la personnalité proche de la sanctification, encadrement des masses militantes non par des messes, mais par des réunions hebdomadaires des cellules, manifestations de rue avec oriflammes et banderoles aux allures de procession, exaltation des martyrs du Parti tombés dans la Résistance antinazie…
À la différence de la France ou de l’Italie, le Canada et le Québec n’ont pas connu cette voie jumelle à la toute-puissance de l’Église catholique, mais un même phénomène de sécularisation et de laïcisation a rendu toutes ces pratiques obsolètes. En France, le mouvement récent des « gilets jaunes » a frappé par son côté hétérogène et sa difficulté à établir un consensus. Peut-être par la disparition de ces symboles qui reliaient les hommes et les femmes. Relier, le mot qui a donné « religion ».