Comment faire nos adieux à ceux et celles qui s’en sont allés durant la pandémie?
Jean Porret, Éric Hébert-Daly et Christine-Marie Gladu nous relatent des moment forts vécus dans des circonstances remplies de contraintes.
Jean-Pierre nous a quittés dans la tempête, mais avec des anges
Témoignage de Jean Porret, pasteur retraité
Un ami paroissien de longue date termine sa vie dans la solitude et l’isolement du coronavirus, et l’éloignement familial. Famille et amis disséminés : Montréal, Floride, Burlington, Californie, New-York, France, Angleterre.
Jean-Pierre, venu de France à Montréal avec son métier de menuisier ébéniste dans la poche, il y a un demi-siècle. Son départ en pleine pandémie nous choque, avec le silence et la distanciation d’un espace à franchir! Pas possible d’attendre l’été, faire quelque chose de suite sans trop tarder. Il a été très actif, dans la jeunesse, les scouts, et la réno bien sûr! Puis au fil des amitiés, ses maisons construites à gauche et à droite, notre fin artisan s’est fait aimer et reconnaître, même si les dernières années seront difficiles et souffrantes. Il finira assez seul, sauf quelques amis fidèles, un jeune couple connu au CHLSD et sa sœur en Floride. À trois personnes, nous montons spontanément un hommage adieu à Jean-Pierre, avec comme thème de départ les amitiés de l’immigration et bien se re connaître même dans le temps. Pour réaliser le tout : un technicien opérateur en France, un autre à Montréal, et moi à l’animation. Une première pour nous tous, anxieux du résultat. Nous pensions réunir 10-15 personnes, nous serons une trentaine
Le déroulement sera très proche de celui des cérémonies dans une Église : cantiques, chants, six témoignages, une méditation, une prière d’intercession et un envoi bénédiction. Mais voilà, on se voyait ou s’entendait, et tout à coup dans cette grande incertitude ensoleillée du printemps, une mémoire, une personne se tenait là au milieu de nous. Les témoignages allaient dans une même direction, Jean-Pierre a vécu des temps uniques qui font que même 50 ans plus tard et à 10 000 km de distance nous sommes tous là. Deux générations voulaient dire comment il nous avait touchés et aidés dans la vie, nous donnant même le goût des réno! Avec son marteau et ses clous, dans son chantier, il nous parlait encore fortement. Comme une maison bien habitable et une belle complicité de famille. Bâtir et construire! Oui, la technique des communications a fait, ce jour-là, un petit miracle.
Quand on n’a que des mots, des regards…
Témoignage d’Éric Hébert-Daly,
responsable des Ministères en français de L’Église Unie
Depuis presque 15 ans, je suis le pasteur d’une communauté de foi qui se réunit pour un culte trois fois par année. Son église a été construite en 1836, à 15 minutes de la ville de Thurso. Elle est située sur un petit chemin de terre, dans le fin fond d’un rang où se trouvait autrefois un village. Les familles arrivent de loin pour les trois célébrations, en mai, juillet et octobre. Parfois, on compte une centaine de personnes dans la petite église qui n’a pas d’électricité ni de plomberie.
Au fil des années, j’ai appris à connaître et à aimer les membres de cette communauté dispersée. Et quand vient le temps de célébrer des funérailles, je me rends comme eux à cette petite église et dans son cimetière, juste à côté, pour rendre hommage à ces gens que j’aime tant.
Au mois d’avril, en pleine période de confinement, une des grandes familles de la région m’a annoncé que la mère, âgée de 92 ans, était à la veille de mourir. Les membres de la famille voulaient savoir si je pouvais m’occuper des funérailles, malgré les conditions difficiles. J’ai dit oui.
Au début, nous croyions qu’il ne serait pas possible de réunir plus de 9 personnes au cimetière (pour un total de 10, avec le célébrant), alors nous avons prévu la possibilité de tenir trois rassemblements, un après l’autre, pour que les membres de la famille immédiate aient la chance d’y participer en personne. Nous avons aussi exploré l’idée de faire la première partie de la célébration avec le premier groupe, puis de diviser la suite entre les deux autres groupes, mais je n’aimais vraiment pas l’idée de créer un cercle sacré, de le défaire et le refaire deux fois. Finalement, les règles de la santé publique ont été modifiées à temps pour nous permettre de rassembler tous les membres de la famille qui étaient déjà dans la région, à la condition qu’ils se tiennent à deux mètres de distance entre les regroupements par foyer. Le cimetière étant grand, nous aurions pu recevoir un bon nombre de participants.
La participation n’était pas évidente pour les gens qui ne pouvaient pas traverser la rivière des Outaouais pour rentrer en voiture au Québec, en provenance de l’Ontario; et elle était impossible pour ceux et celles qui se trouvaient à une grande distance. La maison funéraire avait une caméra pour capter le tout par Zoom, ce qui permettait aux gens qui ne pouvaient pas y être de suivre en direct le déroulement. Ensuite, l’enregistrement a été affiché sur YouTube pour permettre à un plus grand nombre de visionner la cérémonie.
L’arrivée a été particulièrement pénible. Après déjà deux mois de confinement, les membres de la famille se voyaient en personne, mais encore à distance. Comme si le deuil n’était pas assez difficile en soi, la période prolongée de confinement et les règles de distanciation s’ajoutaient pour rendre pénibles les retrouvailles. On pouvait voir tout de suite le désir de s’embrasser, de se consoler, surtout quand les larmes venaient aux yeux. Il fallait se contenter des mots et des regards pour communiquer le réconfort, l’amour et la tendresse.
Le cercueil a été transporté par six hommes de la famille, portant des gants et des masques, rapprochés le temps de ce court voyage de la voiture à la tombe. En priant, en partageant quelques mots de soutien, j’ai dû utiliser mes capacités théâtrales pour me faire entendre par les gens les plus distanciés. Le moment venu de se rapprocher pour prendre un peu de terre et la mettre sur le cercueil, chaque personne devait prendre une poignée de sable d’un endroit différent pour éviter la contamination.
Il est tout à fait normal de ne pas vouloir pas quitter le cimetière trop vite à la fin d’un rassemblement funéraire, mais cette fois-ci la douleur de l’isolement a fait que les gens se sont attardés plus longtemps que d’habitude. Un couple très âgé avait apporté ses propres chaises pliantes pour s’asseoir, et alors qu’ils avaient de la difficulté à se relever, nous devions nous tenir à distance – un moment où personne n’aurait hésité à leur venir en aide dans d’autres circonstances. L’acte d’amour à l’égard de ces gens de 80 ans nous tiraillait entre deux réactions : les aider en leur donnant la main ou maintenir notre distance.
Nous avons réussi à célébrer la vie d’une femme dont l’âme était remplie de compassion et de générosité – qui elle aussi aurait trouvé difficile de ne pas être en mesure de démontrer son amour en touchant les êtres chers et en les serrant dans ses bras, ses mains. Malgré tout, il y avait ce jour-là des mots, des regards pour nous nous réconforter à sa mémoire.
Des funérailles dans la solitude
Témoignage de Christine-Marie Gladu,
pasteure à Kingston United Church (Nouvelle-Écosse)
Joseph était vendeur de drogue. Le village au complet le connaissait. Il est mort seul et nous l’avons trouvé dans sa cour, juste en avant de sa maison mobile. Un taudis.
Une amie d’enfance était chargée de voir à ses affaires, mais elle ne savait pas quelles étaient les volontés de Joseph. Pourtant, il le disait-lui-même, « Charlène est au courant de tout. »
Alors nous voilà au cimetière, l’entrepreneur de pompes funèbres, Charlène, deux bienfaiteurs de la paroisse et moi-même.
Nous avions fait connaissance en décembre 2019 de cet homme tout en gentillesse et en attentions pour nous, et soucieux de partager le peu qu’il avait. Joseph avait fait appel à la paroisse pour qu’on l’aide à remplir des formulaires gouvernementaux. Les autres Églises ne lui avaient pas répondu ou encore avaient préféré ne pas l’aider, compte tenu de son passé.
Je ne connaissais pratiquement personne des alentours, puisque je suis nouvellement mandatée dans la région. Sur son coup de fil, j’ai accepté tout de suite de l’aider. Nous l’avons suivi et soutenu. Je lui avais promis de célébrer sa vie quand viendrait le moment.
Au cimetière, l’entrepreneur de pompes funèbres filmait une courte cérémonie, et c’est de manière très conviviale que nous avons célébré notre amitié avec Joseph, ainsi que sa vie. En fait, cette cérémonie est devenue une discussion, un échange, une lecture et un message sur la Parole de Dieu. Chacun y a contribué : à cinq personnes, l’une a lu une prière, l’autre l’Évangile, l’autre un mot et un souvenir. J’avais un cube Bluetooth sur lequel je pouvais faire jouer de la musique depuis mon téléphone portable, et durant ces moments d’amitié, nous avons pu relater de beaux moments de la vie de Joseph, et parler franchement de ses moments sombres.
Nous nous sommes quittés sur une belle et sincère bénédiction, un dernier hymne, et le sentiment que nous avions partagé un moment de prière de grande qualité, parce que rien n’avait été édulcoré sous de belles formules toutes faites. Nous connaissions Joseph. Tout cela s’est réalisé dans un cadre jamais vu, mais ô combien respectueux, et naturel.