Kenji Marui
Apprentissages
Je suis un fan de basket-ball et un fervent partisan des Raptors de Toronto. Je joue de manière occasionnelle pour le plaisir au gymnase de ma paroisse. Du haut de mon mètre soixante-deux en chaussures, j’ai trop souvent vu mon tir bloqué et des rebonds refusés à cause de ma taille. Étant issu d’une famille d’immigrants japonais, ces petits manques sont un héritage direct. Mes statistiques de jeu officielles font glorieusement état de deux points marqués au cours de mes cinq années d’école secondaire.
Le basket-ball me passionne parce que les meilleures équipes croient vraiment au travail d’équipe. J’aime la passe qui mène à la passe, et permet à un joueur de mettre le ballon dans le panier. Le basket-ball est peut-être une ligue de superstars, mais j’encourage toujours les marginaux et les joueurs au rôle limité dont la contribution est invisible ou non remarquée.
Jeremy Lin a connu une ascension fulgurante et éphémère dans le monde du basket-ball. Sa première année avec les Knicks en 2012 a conduit la machine médiatique sportive new-yorkaise à diagnostiquer avec enthousiasme qu’une véritable pandémie de Linsanity se propageait dans la ligue. Avec un début impressionnant comme titulaire, son jeu a amorcé une série de sept victoires consécutives, a établi des records de la NBA et lui a permis d’être consacré Joueur de la semaine. Lin est également le premier Américain d’origine chinoise ou taiwanaise à jouer dans la NBA.
La lumière des projecteurs s’est accompagnée d’une attention extrême, de persiflages et de critiques. Certains se sont moqués « On en fait tout un plat parce qu’il est asiatique », affirmant que s’il était américain (bien qu’il soit né et ait grandi en Amérique) ou européen, personne ne verrait quoi que ce soit d’exceptionnel dans son jeu. D’autres ont ignoré ou minimisé le racisme dont il a fait l’objet parce qu’il n’était pas noir.
Plus tôt cette année, alors que le monde était en proie à la peur et à l’incertitude causées par la pandémie de COVID-19 (vous vous souviendrez peut-être qu’elle fut également baptisée la grippe de Wuhan, la Kung Flu et le virus chinois par certains), Jeremy Lin a fait part de ce commentaire sur Instagram :
Quelque chose change en ce moment pour cette génération d’Américains d’origine asiatique. Nous sommes las d’entendre dire que nous ne sommes pas victimes de racisme, las d’entendre dire que nous devons être discrets et ne pas faire de vagues. Nous sommes las de voir des enfants asio-américains grandir en se faisant demander d’où ils viennent VRAIMENT… Nous sommes las de voir les stéréotypes d’Hollywood nuire à notre psychisme et limiter ce que nous pensons pouvoir être. Nous en avons assez d’être invisibles, d’être pris pour notre collègue ou de nous faire dire que nos difficultés ne sont pas aussi réelles que celles d’autres personnes. Je veux une vie meilleure pour mes aînés qui ont travaillé si dur et fait tant de sacrifices pour s’en sortir ici. Je veux que les choses s’améliorent pour ma nièce, mon neveu et les futures générations. Je veux que la situation soit meilleure pour la prochaine génération d’athlètes américains d’origine asiatique… Être un Américain d’origine asiatique ne veut pas dire ne pas faire l’expérience de la pauvreté et du racisme. Le fait d’être un vétéran qui a passé 9 ans à la NBA ne m’a pas empêché d’être traité de « coronavirus » sur le terrain. Être un homme de foi ne signifie pas que je ne lutte pas pour la justice, pour moi-même et pour les autres.
Ce plaidoyer dans le cyberespace a touché une corde sensible chez moi. Jeremy Lin a ciblé la norme sociale voulant que les Asiatiques soient peu attirants. Je n’étais pas séduisant. Il a exprimé ma réalité. Je n’étais pas « grand, brun et beau », ni « blond aux yeux bleus ». La télévision, les films, les livres et les vidéoclips m’excluaient du rôle de jeune premier romantique.
La représentation des Asiatiques dans les médias pendant mes années formatrices a renforcé mon sentiment d’être une anomalie. Pensez à l’influence qu’ont des personnages de cinéma sur les enfants qui ne voient aucun personnage sur le grand écran qui leur ressemble de près ou de loin. Lorsqu’ils en voient, les personnages sont au mieux secondaires – des intellos, des maniaques de l’informatique et des paumés, utiles comme détente comique ou d’antithèse aux quarts-arrière sexy ou aux rebelles ténébreux. Sur cette question, je vous invite à lire l’article L’invisibilité des communautés asiatiques dans le cinéma occidental : quel pouvoir a le cinéma sur notre imaginaire? Qu’il s’agisse d’intelligence, de beauté ou de muscle, je n’ai jamais pensé pouvoir être autre chose que bon élève.
Je me souviens d’avoir erré dans la cour d’école pendant la récréation en pinçant l’arête de mon nez plat dans l’espoir de redonner à mes yeux en amande une forme plus canadienne… plus normale. J’étais japonais, mais peu importe, je me demandais si les intimidateurs de mon école et leurs spectateurs étaient même capables de comprendre la haine ancrée dans l’histoire entre la Chine et le Japon.
Cette réflexion excessivement personnelle et cathartique s’articule autour de l’acceptation des critères de beauté fondés sur l’apparence. Tout au long de ma vie, j’ai repoussé ces critères – qui sont ceux que véhicule l’industrie du divertissement. Je me suis entraîné physiquement pour tous les avantages de santé et de bien-être que cela procure, et pourtant, je me suis retrouvé à réagir moi-même avec un mélange d’approbation, de colère et d’angoisse au mépris exprimé envers Jeremy Lin lorsqu’il a été décrit comme étant faussement athlétique.
Partout, les Églises prêchent l’intégration du corps, de l’esprit et de l’âme, la promotion de la plénitude et de la santé dans chacune de ces composantes de notre être. Nous devons prêter davantage attention aux messages que la société et l’Église communiquent au sujet du corps, nous demander pourquoi certains corps sont vus comme supérieurs et plus sexy et penser aux conséquences de nature raciale de l’attirance et du désir. Tout cela nuit profondément à l’estime de soi. Si nous devons aimer notre prochain comme nous-mêmes (Marc 12,31; Matthieu 22,39; Luc 10,27), cela suppose que nous nous aimions nous-mêmes et que nous ayons une bonne image de nous-mêmes.
Jeremy Lin a exprimé la conviction que ce n’est pas parce que nous sommes des gens de foi que nous ne nous battons pas pour la justice, pour nous-mêmes et pour les autres.
C’est là que réside la beauté de ce moment : une société mobilisée, qui prend conscience que la vie des personnes noires compte, qui s’engage à faire cesser la haine envers les Asiatiques et qui ne restera pas les bras croisés. Au-delà des slogans et des hashtags, ce qui est vraiment beau dans les mouvements Black Live Matters, Stop Asian Hate and Idle No More est ce qui couve en dessous : un engagement à tisser des liens plus profonds et plus directs entre des groupes de personnes, indépendamment de leur apparence physique, et une volonté de partager l’espace et les expériences. Qu’il en soit ainsi. Amen.
Réflexion de foi
Très cher Dieu, beau et aimant,
Créateur de tout :
Nous te remercions pour l’attrait et le charme de chacun et chacune d’entre nous.
Nous sommes créés à ton image, créés dans la beauté, la force et la promesse.
Aide-nous à reconnaître avec notre intelligence,
et nos cœurs,
et nos esprits,
ce qui est vraiment admirable et glorieux.
Accorde-nous de nous ouvrir à cette beauté intérieure qui est en nous en résistant aux mythes de notre culture superficielle.
Puissions-nous trouver en nous-mêmes la confiance en notre être. Puissions-nous comprendre que l’esthétique ne définit pas la normalité, qu’elle est un ajout et non au centre de ce que nous sommes.
Aide-nous, ô Dieu, à trouver la beauté en nous-mêmes.
Libère-nous des normes qui définissent ce qui est désirable et attirant.
Les normes superficielles font de nous des captifs,
en limitant notre imagination et nos liens;
en renforçant les stéréotypes méprisables, au détriment de notre humanité collective.
Libère-nous des prisons du favoritisme et du privilège qui condamnent par l’apparence physique.
Aimons-nous nous-mêmes pour pouvoir aimer notre prochain. Mets-nous au diapason de toutes les formes de beauté qui existent dans ce monde merveilleux, en nous et autour de nous,
Que nous soyons ton peuple bien-aimé et magnifique.
En Christ nous prions,
Amen.
Activités pour les enfants
Il était une fois un garçon nommé Jeremy qui aimait jouer au basket. Il jouait très bien. Il pouvait dribbler, passer, tirer. Il s’est entraîné encore et encore. Il rêvait de jouer dans la NBA comme Lebron James et Kobe Bryant. Le problème, c’est que les gens ne croyaient pas en lui. Ils pensaient que parce que ses parents étaient de Taiwan, il n’était pas bon au basket. Les équipes universitaires l’ont ignoré. Puis, les équipes professionnelles l’ont ignoré. Elles n’ont pas tenu compte de ses capacités de jeu en raison de sa race.
Il y a très peu de joueurs asiatiques dans la NBA. Aucun d’entre eux n’avait gagné de championnat. Tout le monde pensait que Jeremy ne serait pas très bon parce qu’il avait l’air différent.
Jeremy a travaillé dur, il s’est beaucoup entraîné, mais n’a pas pu participer à beaucoup de matchs. Sa première équipe l’a abandonné, comme sa deuxième équipe. Sa troisième équipe, par contre, a agi autrement : elle a fait de lui un titulaire et a veillé à ce qu’il puisse jouer un grand nombre de matchs.
Et Jeremy a marqué beaucoup de paniers! Il a atteint des records pour le nombre de points marqués. Son équipe a gagné sept matchs d’affilée. Il a remporté des prix.
Jeremy n’hésite pas à s’exprimer à propos de sa foi. Il sait que Dieu l’aide à croire en lui-même quand les autres ne le font pas. Il travaille dur et continue d’essayer. Jeremy Lin a été le premier Américain d’origine asiatique à remporter un championnat de la NBA lorsqu’il a joué avec les Raptors en 2019!
- Quels enseignements pourrions-nous tirer de la vie de Jeremy et quelles idées son expérience nous fait-elle découvrir?
Engagement du groupe
Si nous sommes ce que nous mangeons, soyons attentifs à ce que nous consommons dans les médias. La technologie fait en sorte que nous pouvons être bombardés par des images visuelles de plus en plus nombreuses sur une foule d’écrans. Soyons donc vigilants en ayant conscience des mythes sur la beauté dans les films, les émissions de télévision, les publicités et les livres. Demandez-vous « Qui est beau? » ou plus précisément « Qui est décrit comme beau? »
Demandez-vous pourquoi. Demandez-vous qui décide.
Repérez tout lien explicite ou implicite entre le caractère moral et l’apparence physique. Les méchants sont-ils moins séduisants? Qu’est-ce qui les rend ainsi?
Demandez-vous pourquoi. Demandez-vous qui décide.
Observez les intrigues romantiques et qui peut embrasser qui.
Demandez-vous pourquoi. Demandez-vous qui décide.
Notez l’identité raciale des héros, des méchants, des personnages secondaires. Combien de temps les personnes autochtones et racialisées occupent-elles à l’écran et combien de répliques prononcent-elles? Dans quelle mesure les stéréotypes raciaux influencent-ils leurs rôles?
Demandez-vous pourquoi. Demandez-vous qui décide.
- Engageons-nous à examiner d’un œil critique les histoires qui nous sont racontées et celles que nous racontons nous-mêmes. Un tel étonnement est une belle chose.
Défense et promotion des droits
Le personnel est politique et rien n’est plus personnel que la perception de la beauté et de l’attirance. Pourtant, même ce choix personnel extrêmement privé a été filtré par les normes sociales du racisme et du privilège des Blancs, qui jugent certaines couleurs de peau et certains types de corps plus désirables que d’autres. L’acte de revendication le plus radical et le plus révolutionnaire consiste peut-être à s’aimer tel qu’on est. Alors, le Grand Commandement – « Aimons notre prochain » – devient réalisable. L’action tangible consistant à voir la beauté chez autrui n’est pas une injonction au voyeurisme, mais un appel à résister aux mythes et aux idées fausses.
Un autre appel à l’action est une invitation à élargir le champ de vision de notre communauté de fans : devenez les partisans ou les admiratrices et admirateurs d’un artiste, d’un acteur, d’un athlète ou d’un musicien qui semble ne pas ressembler à la plupart des autres. Aussi ouverts sur le monde, aussi interculturels et aussi divers que nous puissions être, aussi large que puisse être notre ouverture d’esprit, il y a toujours un groupe sous-représenté.
Je pense qu’une telle attention débouche sur une relation plus profonde et sur une véritable appréciation, ce qui mène alors à d’autres formes d’exploration et d’engagement à l’égard d’expériences analogues, à un élargissement de nos horizons et à une prise de conscience de la nécessité d’apprécier le travail de ces créatrices et créateurs qui
représentent une beauté qu’inconsciemment, nous pouvons rejeter.
Après tout, la vie est belle.
Kenji Marui utilise les pronoms il/lui et fait partie de l’équipe pastorale de la Grace United Church à Sarnia, en Ontario. Il est également membre de l’exécutif du conseil régional d’Antler River Watershed et de la Table commune antiracisme.