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| par Pierre Goldberger |
Le 27 février 2021, lors de l’Assemblée générale annuelle des ministères en français de l’Église Unie du Canada, le pasteur retraité Pierre Goldberger a offert cette reconnaissance du territoire.
Reconnaissance
Lorsque nous sommes invités à offrir une reconnaissance du territoire, il s’agit beaucoup plus que de nommer le territoire traditionnel sur lequel nous nous tenons et vivons.
Il s’agit de reconnaissance.
Reconnaissance de peuples qui vivent aujourd’hui et de leur attachement à cette terre, création de Dieu.
Reconnaissance de leur accueil sans lequel aucune implantation et survie n’aurait été possible.
Reconnaissance de leurs dons et apports, aujourd’hui même.
Reconnaissance de ce qu’on leur a interdit ou pris : langue, culture, spiritualité, terres et ressources, dignité, mode de vie, autogouvernance.
Reconnaissance de leurs luttes historiques et encore bien présentes pour se re-lever, retrouver droits, respect et dignité. (Il s’agit bien de résurrection au mitan de la vie – bientôt Pâques – vous le savez, en grec, ressusciter se dit se lever de nouveau.)
Reconnaissance du chemin que chacun et chacune, et ensemble, nous avons à parcourir afin que soient possibles les conversations et conversions de réconciliation, fruit de la justice qui enfante la paix.
À quoi pouvait ressembler un premier regard de reconnaissance envers les Autochtones, même à travers les filtres et préjugés européens du 17e siècle? À travers les nôtres aujourd’hui?
En 1623 arrive Gabriel Sagard, frère récollet, c’est-à-dire de la branche franciscaine. C’est une bonne dizaine d’années avant l’entreprise missionnaire des Jésuites qui fera partie de l’entreprise de colonisation, laquelle aura un impact majeur sur les peuples autochtones, avec ses guerres et ses monopoles commerciaux et l’imposition d’un cadre européen vertical – à long terme destructeur. En 1623, le Canada n’est pas encore officiellement une colonie, mais bien un comptoir pour le troc, l’échange et l’achat de fourrures, principalement à Tadoussac et aussi à Québec où vit à peine une cinquantaine de Français. Ces échanges se font selon les protocoles de rencontres et de troc, et dans les langues autochtones. D’ailleurs, la plupart des Français, Basques et autres s’en retournent et n’hivernent pas au Canada.
Nous savons peu de choses de Gabriel Sagard, sinon qu’il était indépendant de vue et de pensée, que sa communauté le rappelle rapidement en France puis, après publication de son deuxième ouvrage, elle ouvre un procès pour qu’il retourne au monastère, ce qu’il refuse de faire, s’étant réfugié chez les Cordeliers. Puis, plus rien.
Dès son arrivée, Gabriel Sagard va vivre en Huronie pendant un peu moins de deux ans, seul Européen dans une maison longue du village de Quieuindahian/Ossosané. Il rencontrera aussi Hurons-Wendats, Attikameks, Innus, Micmacs.
Il ne fait pas de théorie, il note ce qu’il voit et vit. De fait, par ses écrits longtemps considérés comme de qualité littéraire inférieure, il est reconnu comme étant le premier Européen à tenter de décrire de l’intérieur la vie quotidienne des Autochtones au Canada et de les apprécier. Il sera le premier ethnologue, et ce, avant l’impact massif et destructeur de l’ordre colonial-religieux sur les Autochtones. D’où son importance.
Dès le début, Sagard fait plusieurs observations, qui ne reflètent pas les mythes et les caricatures sur les Autochtones, voire le mépris transmis jusqu’à nous. En voici quelques-unes :
Concernant leur apparence physique, Sagard est vraiment impressionné. Il les trouve beaux, bien proportionnés, bien nourris (contrairement aux populations européennes) forts, et surtout très intelligents. Contrairement aux préjugés de l’époque, il conclut qu’ils sont « de la même nature que nous ». Il est aussi très impressionné par les festins qu’il décrit en détail et qui se déroulent particulièrement en hiver. Là où les familles d’un même village s’invitent les unes les autres, ainsi que, mutuellement, la vingtaine de villages plus ou moins éloignés qui constituent cette région huronne. C’est la coutume du tout manger, où rien ne doit rester de ce qui est offert. Sagard s’étonne : « Personne n’a faim, ou tout le monde a faim. » C’est en contraste total avec les villes et villages de France, où les riches festoient encore pendant que le peuple vit la famine. C’est aussi le choc que rapporteront des Autochtones emmenés et revenus de France. Cette coutume d’hospitalité réciproque a pour effet de lier les familles et les villages qui se connaissent et se reçoivent. Ceci cultive les liens sociaux de respect, de communauté et, note Sagard, facilite grandement la résolution pacifique des problèmes et des conflits, ainsi que l’harmonie. « L’échange et le don sont à la base des rapports sociaux. » (Réal Ouellet, Introduction, p. 21)
Sagard s’émerveille de cette société huronne et autochtone, où il n’y a pas de pauvres, d’inégalités sociales, ni de mendiants! Où on ne trouve ni juge ni royauté! « Les chefs ne donnent pas d’ordre et n’ont point d’autorité absolue », note-t-il. Il leur appartient en conseil de convaincre, de rassembler, de dégager des vues communes. « Ils conduisent le peuple plutôt par prières, exhortations et par exemple, que par commandement. Tout se décide en plein conseil », précise Sagard.
Rencontre, clé de la reconnaissance
Durant tout son séjour, Sagard vit dans une maison longue du village huron, où il sera accueilli et intégré selon l’étonnante tradition d’hospitalité autochtone.
C’est le maître de canot de bouleau qui l’a conduit depuis Québec, Oonchgiarey, qui l’invite à partager l’espace de sa famille dans la maison longue où vivent une vingtaine de familles. On lui dégage et prépare son coin à lui, au même titre que chacun de la famille. La mère de famille l’invite naturellement à l’appeler mère. C’est une hospitalité qui accueille, intègre et adopte.
Je n’ai pas appris cela, ni à l’école ni à l’université. Et vous?
Sagard ne participera à aucune expédition militaire ni aucun blitz de conversion que les Jésuites feront plus tard. Il s’emploie à décrire les travaux, la chasse, la vie quotidienne, notamment celle des femmes. Le tannage des peaux, la confection de vêtements et de parures, le soin des enfants, la cuisine, la cueillette des petits fruits. Il s’émerveille des petites choses, même des belles tapisseries que les femmes font avec des cosses de maïs. Femmes et enfants jouissent d’une liberté inconnue dans son pays d’origine. Contraste total : on ne bat pas les femmes ni les enfants!
Plus d’une dizaine d’années plus tard, les Jésuites envoyés pour la conversion des s… seront aussi accueillis pour vivre dans les maisons longues. Très vite, ils voudront sortir du village, se construire plus loin pour se séparer des païens sauvages, ce qui sera perçu comme une grande insulte par les Autochtones. Ces missionnaires exigeront aussi que les nouveaux convertis sortent et se coupent de leur communauté pour se construire et vivre à l’extérieur de leur village, loin de l’influence des idolâtres. Plus tard, de telles pratiques missionnaires de toutes les confessions auront un impact funeste sur les peuples autochtones. Chez certains peuples et dans certaines communautés, on peut encore sentir la tension entre les Autochtones de la maison longue et les chrétiens que l’on a prémunis contre toutes ces spiritualités taxées de paganisme.
À l’époque de Sagard, les Autochtones se considèrent comme les hôtes du pays entier. Ils n’ont donc pas à apprendre le français. C’est aux Français d’apprendre leur langue, leur culture et leurs us et coutumes. C’est ce que fera aussi Sagard avec reconnaissance. Outre son récit, Voyage au pays des Hurons, on verra publier son dictionnaire de la langue huronne en 1632, qui, hélas, servira de précieux instrument d’occupation et de pouvoir colonial. Il facilitera aussi l’impérieuse mission de soumission par la conversion des esprits et des âmes des Autochtones.
Aujourd’hui, il nous incombe comme Églises et comme société, à nous les légataires de tant de souffrance, de violence et d’aveuglement, nous qui avons souvent ignoré la richesse de ces peuples, d’être les pèlerins d’une recherche constante de réconciliation avec les Autochtones. Nous devons cultiver la volonté de savoir, de changer, de nous éduquer et d’agir, afin que la justice, le respect et la reconnaissance enfantent la guérison de nos relations avec les Autochtones, guérison à laquelle notre Créateur nous appelle.
– Pierre Goldberger, mars 2021
Notes :
- Le frère Gabriel Sagard a écrit un grand ouvrage intitulé Le grand voyage au pays des Hurons, qui comprend une éclairante introduction fouillée de Réal Ouellet et Jack Warwick de 63 pages. Leméac 1990 et Bibliothèque québécoise 2007, format livre de poche.
- Précisons que Sagard ne présente nullement une vision romantique et idéalisée des Autochtones. Il est aussi bien de son temps dans certaines de ses critiques et perspectives. Il serait faux de penser qu’il ne soutenait pas la mission de propagation de la foi auprès des Autochtones. Malgré les immanquables conditionnements d’époque, il réussit à se laisser ouvrir à l’Autre de façon inédite et c’est cette recherche de compréhension, à chaque époque, qui nous parle encore.
- L’historien Julien Beaulieu a aussi beaucoup écrit sur ces questions.
- Enfin, aujourd’hui, c’est la voix montante des Autochtones qui nous guide et nous inspire.