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| par Angelika Piché et Suzanne Grenier |

Photo : Larry et Vicki Séguin
Peut-on véritablement communier en ligne?
La COVID-19 est ravageuse, mais n’a pas mis fin à la vie des communautés de foi de l’Église Unie. Des rencontres informelles aux célébrations liturgiques, en passant par des études bibliques et une ligne d’écoute téléphonique, il a fallu tirer le meilleur parti possible des moyens technologiques pour rompre l’isolement et, ensemble, traverser cette crise.
Par un heureux paradoxe, ces formes de communication à distance ont permis à plusieurs de se rejoindre de manière plus intime qu’auparavant. Confinés à la maison, nous nous retrouvons déconfinés géographiquement. Et nous nous reconnaissons, les uns les autres, par caméra interposée, sans filtres, dans nos espaces personnels, nos lieux du quotidien.
Mais voilà que la question s’est posée : dans l’univers de ZOOM, de Facebook en direct et de YouTube, les rites préservent-ils leur valeur?
Pouvons-nous continuer à célébrer en communauté? Et qu’en est-il tout particulièrement de la communion, ou Sainte-Cène dans le langage de l’Église Unie, un rite qui reproduit, en les rendant extraordinaires par le lien créé avec le Christ, des gestes simples issus de la vie de tous les jours? Le sacrement ne risque-t-il pas d’être banalisé? Ces interrogations ont été soulevées dans plusieurs Églises, mais il faut savoir que toutes les confessions n’ont pas le même rapport à la communion.
Nous profitons donc de la présente période de ralentissement pour contribuer à une réponse longue à ces questions, dans leurs dimensions tant théologiques que pratiques. Voici une très bonne occasion de comprendre et d’actualiser les fondements de la foi protestante de même que le sens de communauté qui soutiennent l’Église Unie.
Plusieurs communautés de foi ont amorcé cette réflexion et ont fait le choix d’inclure, ou non, la Sainte-Cène dans leurs célébrations en ligne, un peu pressées par les changements soudains liés au confinement et la poursuite du calendrier liturgique. Richard Bott, le modérateur, a apporté son éclairage, en se référant aux sources théologiques de l’Église Unie. Commençons par un rappel historique, puis poursuivons, avec eux, cette conversation!
Les courants réformés et la présence de Dieu
L’Église Unie du Canada se situe dans le courant réformé, qui considère la Sainte-Cène comme un des deux sacrements, avec le baptême, initiés par Jésus. Selon les Principes de l’Union (base doctrinale de l’entente par laquelle l’Église méthodiste, l’Église congrégationaliste et une partie de l’Église presbytérienne se sont fusionnées en 1925), ces sacrements sont des « signes et sceaux de l’alliance » et « des moyens de grâce par lesquels Il œuvre en nous non seulement pour susciter notre foi en Lui, mais aussi pour la fortifier et nous réconforter dans celle-ci ». Selon la Déclaration de foi de 1940, la Sainte-Cène est un repas symbolique, un rite de commémoration de la vie et de la mort du Christ et, en même temps, un moyen « effectif » par lequel se manifeste la grâce de Dieu. Les croyants et croyantes peuvent faire l’expérience de la grâce de Dieu par leurs sens dans la communion et croire à la présence du Christ ressuscité lors du rite, non pas sous forme « matérielle », mais comme présence spirituelle.
C’est ici que l’Église Unie se distingue d’Églises sœurs, notamment de l’Église catholique romaine, qui défendent une présence du Christ incorporée à la matière des éléments eucharistiques. Pour que la communion ait lieu, une transsubstantiation des éléments est dans ce cas nécessaire, et les croyantes et croyants doivent obligatoirement avoir accès au pain consacré (hostie).
Au sein de l’Église Unie, la croyance en une présence spirituelle du Christ lors de l’expérience communautaire de la Sainte-Cène permet plus facilement de concevoir la possibilité de célébrer celle-ci malgré une distance géographique et malgré que les éléments consommés par chacun ne soient pas les mêmes.
La célébration de la Sainte-Cène selon la théologie de l’Église Unie
La théologie réformée établit des paramètres généraux pour la célébration de la Sainte-Cène, auxquels il peut être utile de revenir en cours de réflexion.
Une communauté rassemblée : un pasteur, une pasteure ne peut pas célébrer la Sainte-Cène tout seul, car il s’agit d’un acte communautaire, un rite d’Église.
La Parole proclamée, qui donne aux éléments la qualité de « signes » : il ne peut pas y avoir communion sans lectures bibliques et prières, car les éléments en eux-mêmes ne peuvent pas contenir la grâce de Dieu. Il ne s’agit pas d’un acte magique, mais d’un acte de foi qui demande une écoute et une compréhension dans la foi de la part de ceux et celles qui les reçoivent. Le fait que la Parole proclamée soit encore plus importante que la participation au sacrement dans les Églises de la réforme explique que la Sainte-Cène n’est pas nécessairement célébrée tous les dimanches.
L’offre par l’Église, au nom du Christ : dans l’Église Unie, les responsables de chaque communauté de foi (les anciennes et anciens ou le conseil) ont un rôle de discernement et de supervision quant à la pratique de la Sainte-Cène (Le manuel 2019, B.2.1.3 Vie spirituelle). L’administration adéquate implique toujours, entre autres, que la personne qui préside le sacrement y soit autorisée par l’Église. Normalement, il s’agit de pasteurs ou pasteures, souvent de diacres et exceptionnellement de célébrants ou célébrantes laïques de sacrement qui ont obtenu une licence spéciale.
Communier en ligne : le pour, le contre et le « oui, mais attention »
Au sein de l’Église Unie, la question a d’abord été examinée en 2015, à la suite du premier rassemblement en ligne du 41e Conseil général et en vue du 42e, car on envisageait que la convocation se fasse en vidéoconférence et s’ouvre, comme le prescrit le Manuel, par la célébration de la communion. La secrétaire générale et l’exécutif du Conseil général ont alors demandé un avis au Comité théologie et relations interconfessionnelles et interreligieuses. Le rapport du comité présente des arguments pour et contre la communion en ligne mais, sans prescrire une orientation tranchée, souligne que « l’autorisation de donner la communion en ligne relève des pouvoirs du conseil des anciens et des anciennes d’une paroisse ou de son équivalent. »
C’est la voie qu’ont suivie un certain nombre de communautés de foi dans le contexte récent, en appelant leurs anciens et anciennes à se prononcer. Au cours des dernières semaines, parmi les communautés francophones ou bilingues, la Sainte-Cène a été célébrée en ligne, entre autres, par l’Église Unie Saint-Marc, l’Église Unie de Sainte-Adèle, La Mission protestante francophone de Toronto et l’Église Unie de la Grâce, en Outaouais. Dans l’ensemble, l’expérience s’est révélée positive. Du côté de l’Église Unie Saint-Pierre et Pinguet, qui a par ailleurs réalisé avec beaucoup de dynamisme plusieurs activités liturgiques en ligne (dont La parole sur le pouce), la décision a plutôt été de reporter la célébration de la Sainte-Cène jusqu’à ce que la communauté puisse se rassembler en personne.
Les choix ont été variables, mais la culture démocratique de l’Église Unie vit bien avec la diversité des points de vue – y compris celui du modérateur, qui incarne plus un leadership spirituel qu’une autorité hiérarchique. Voyons quels aspects ont surtout retenu l’attention et comment peuvent être résolus, dans la prière et de manière réfléchie, certains dilemmes.
Comme la communion n’est possible qu’en communauté, qu’est-ce qui constitue communauté en ligne?
Richard Bott, le modérateur de l’Église Unie, fait d’emblée une distinction : c’est l’espace qui est virtuel, et non le culte que nous offrons à Dieu. « L’espace est peut-être virtuel, explique-t-il, mais les relations que nous cultivons les uns avec les autres, et celles que nous cultivons avec Dieu sont aussi réelles que toutes les autres relations dans nos vies. »
La pasteure Natalie Istead souligne l’aspect public de la Sainte-Cène : « Les sacrements ne sont pas des moments de grâce privés, mais doivent être vécus en communauté. » Pour sa communauté de l’Église Unie de la Grâce, la possibilité de célébrer la communion en ligne n’était toutefois pas un sujet controversé : « Nous croyons que la Sainte-Cène doit être célébrée en communauté. Maintenant, notre communauté se parlait et priait ensemble sur Internet ».
À la Mission protestante francophone de Toronto, la possibilité de communier en ligne a permis une certaine constance à travers la crise. Le pasteur Isaac Kamta met en contexte les choix récents : « Nous sommes une très jeune communauté, créée en 2016, ce qui fait que nous sommes en train de poser les bases pour le présent et l’avenir. Depuis notre existence, nous organisons la Sainte-Cène au moins une fois par mois. Il ne nous est jamais arrivé de la sauter. Pour assurer la continuité, nous avons convenu d’organiser la Sainte-Cène virtuelle. »
Cependant, le modérateur formule une réserve importante à l’égard des célébrations qui se déroulent en mode dit asynchrone (qui n’exigent pas une connexion simultanée des participants) : « Quand la communion est partagée en direct, la communauté est certes dispersée dans des lieux physiques différents, mais les gens se retrouvent en même temps dans l’espace virtuel. Ils partagent le pain et la coupe de manière simultanée, comme partie intégrante de l’acte liturgique, malgré la distance physique. » Le simple visionnement d’un enregistrement, par exemple, pose à ses yeux problème.
Les personnes rassemblées doivent pouvoir entendre ensemble le partage d’une liturgie de la Parole. Ainsi, se crée une communauté dans l’Esprit. « Ce partage est d’autant plus important lorsque la communauté est forcée d’être à distance », insiste le modérateur.
Pour des raisons expliquées plus loin dans cet article, le conseil des anciens et des anciennes de l’Église Unie Saint-Pierre et Pinguet a pris la décision unanime de ne pas célébrer la Sainte-Cène de façon virtuelle et, à la place, d’inviter les gens à « cultiver le désir de communion ». Conscient que certains membres de la communauté auraient peut-être envie de vivre une communion virtuelle, il a convenu d’informer celle-ci des cultes avec Sainte-Cène qui seraient offerts par d’autres communautés de foi, en invitant les gens à participer au culte de leur choix.
En pratique…
- Si les personnes peuvent se voir sur l’écran, ou du moins avoir tous leurs noms affichés, cela aide à se sentir en communauté.
- En plus, si plusieurs personnes se trouvent physiquement au même endroit, on peut les encourager à participer ensemble à la communion.
Est-ce qu’il est nécessaire de partager les mêmes éléments?
Selon la théologie de l’Église Unie, la présence du Christ est comprise comme une présence spirituelle, et non comme une présence incorporée à la matière des éléments. Plusieurs pensent, par conséquent, qu’il n’est pas absolument nécessaire de communier avec le même pain et avec la même coupe.
Notre foi chante, la nouvelle Déclaration de foi adoptée par l’Église Unie en 2007, décrit comment des choses ordinaires – le pain, le vin – témoignent, au-delà de ce qu’elles sont, de Dieu et de son amour. Ce passage sur la communion explique aussi comment cela apprend aux croyants à rester aux aguets de la présence du sacré au cœur de la vie. Est-ce que cette attention est bien préservée lors des activités en ligne?
La pasteur Darla Sloan, de l’Église Unie Saint-Pierre et Pinguet, commente avec humour : « S’il est vrai qu’on peut ressentir une certaine communion (un sentiment de convivialité bienveillante, fraternelle et sororale) lors d’un repas où chacun apporterait un plat à partager, la Sainte-Cène n’est-elle pas plus – ou autre chose complètement, en fait – qu’un autre potluck d’Église? »
Au sein de la communauté protestante francophone de Toronto, le fait que chacun avait la latitude de communier avec ses propres éléments a été un facteur d’inclusion, selon le pasteur Isaac Kamta : « Un des avantages ici, chacun a utilisé le pain et la boisson adaptés à ses options. Certains préfèrent le vin rouge, alcoolisé ou non alcoolisé, et d’autres, le jus de fruits. Il a aussi été possible d’opter pour le pain avec ou sans gluten. » Pour autant, le sens sacré, à ses yeux, a été préservé : « Même avec la distance la communion garde son sens de solidarité et de destin commun en Christ. Elle rappelle justement les épis autrefois dispersés dans les champs et maintenant rassemblés dans un pain. Chaque famille est dans sa maison, mais tous mangent en même temps le pain, tous boivent en même temps la boisson, tous partagent la même condition de confinement et appartiennent à la même communauté de foi. »
En pratique…
- S’il n’est pas nécessaire de manger du même pain et boire de la même coupe, la distanciation physique fait perdre le symbolisme du pain entier et de la coupe partagés comme signe de communauté. Pour cette raison, il serait tout particulièrement important de souligner dans la liturgie que nous partageons les mêmes dons de Dieu.
Comment recevoir et non pas « prendre » la communion quand une personne seule se sert le pain et le vin à la maison?
Dans la communion, selon la théologie de l’Église Unie, les croyants reçoivent les dons de Dieu. C’est important et c’est la raison pour laquelle, à l’église, la liturgie implique généralement qu’une personne offre la communion à une autre.
Le conseil des anciens et anciennes de l’Église Unie de Saint-Pierre et Pinguet avait cette préoccupation lorsqu’il a décidé qu’il n’y aurait pas de Sainte-Cène dans l’espace virtuel, rapporte la pasteure Darla Sloan : « Nous n’allons pas prendre le pain et le vin : nous allons le recevoir. Nous ne nous le donnons pas, nous l’accueillons. Et communier dans la réception de ce don, de cette offrande, crée et resserre notre unité, fait communauté. L’idée que chacun et chacune vienne au culte en apportant son pain et son vin risque d’occulter un aspect fondamental du sacrement. »
En pratique…
- Si une personne se trouve toute seule à la maison, mais en communauté virtuelle avec d’autres, il est difficile d’imaginer qu’elle ne prenne pas le pain et le vin elle-même. Ces gestes peuvent malgré tout se faire dans un esprit de réception, et cela, la liturgie pourrait le souligner.
- Le fait de communier en même temps, de synchroniser les gestes de manger le pain et boire, peut renforcer l’expérience communautaire. Si deux ou trois personnes sont réunies dans une même maison, elles pourraient s’offrir le pain et le vin réciproquement.
Le vin est versé, le pain est rompu, nous faisons mémoire de Jésus
Richard Bott, le modérateur de l’Église Unie, a finalement opté pour présider la communion en ligne lors de son culte de Pâques. Au moment de soupeser les enjeux de ce choix, il s’est tourné, dit-il, vers les déclarations de foi qui expriment la doctrine de son Église. L’extrait suivant de Notre foi chante, auquel il s’est référé, a tout particulièrement une résonnance dans la crise que nous traversons :
Portant la vision d’une création guérie et restaurée,
nous accueillons toute personne au nom du Christ.
À l’invitation du Christ à la table où personne n’aura jamais faim,
nous nous rassemblons comme ses convives et ses intimes.
Dans cette sainte communion,
nous avons pour mission de nourrir,
de pardonner, d’aimer les autres,
autant que nous l’avons été.
Cette table ouverte annonce la radieuse promesse
des barrières abolies et de la création restaurée.
Dans ce repas de communion, le vin est versé, le pain est rompu ;
nous faisons mémoire de Jésus.
Nous faisons mémoire autant de sa promesse que du prix qu’il a payé
pour ce qu’il a été,
ce qu’il a dit et fait,
pour ce monde brisé.
Nous goûtons au mystère de l’immense Amour de Dieu pour nous
qui renouvelle notre foi et notre espérance.
Très bonne et saine façon d’aborder cette question.
Merci pour cette réflexion nouvelle et si important au temps de Pâques dan notre situation. Notre famille réformée s’y retrouve bien
Jean Porret
Merci pour cette réflexion ouverte et complète.