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1 | Dialogue(s) avec le mystère

 

Dans ce texte d’introduction de la série Dialogue(s) avec le mystère, l’écrivaine Élisabeth Vonarburg retrace l’éveil de sa conscience spirituelle et nous présente les possibilités quasi infinies de la science-fiction pour interroger l’humain et le non-humain.

 

Au premier plan : Croix en bois (Fred, sur Unsplash). En arrière-plan : Fragment de la voie lactée depuis Glacier Point, Yosemite National Park (Gary Scott, sur Unsplash). Montage : S. Grenier.

 

Dans un dialogue, il est utile de préciser qui parle, et d’où. La voix du mystère est… mystérieuse, mais la mienne n’a pas à l’être. Me voici donc. Je suis née en France au siècle dernier, et dans cette partie du siècle dernier après laquelle rien, réellement, ne serait plus jamais comme avant, sur tous les plans : juste après l’explosion de la première bombe atomique. Ma mère, d’origine cambodgienne, s’était convertie au catholicisme en devenant adulte, après avoir été bouddhiste; mon père avait été trop laminé par trois guerres pour être autre chose que sarcastique lorsqu’on parlait de religion, mais il aimait ma mère, et ni l’un ni l’autre n’imposait ses vues à la maison. Née en grande ville et tôt migrée dans une campagne profonde, j’ai été élevée dans l’eau du bain catholique. J’ai été baptisée, je suis allée au catéchisme, j’allais à la messe. J’aimais notre très vieille petite église moyenâgeuse, la pompe magique de la messe en latin, les chasubles brillantes, le souffle du silence aux moments saints. Et les histoires du catéchisme m’émerveillaient de la même façon que les contes et légendes du monde entier si nombreux dans ma bibliothèque enfantine. J’ai fait ma première communion à 12 ans, comme tout le monde. C’est aussi à peu près à ce moment-là que j’ai commencé à réfléchir pour de vrai.

J’ai progressivement pris conscience du fait que ma pratique religieuse était simplement une pratique sociale et que les religions, institutions qui gèrent leurs dogmes de la manière la plus séculière, n’avaient pas nécessairement grand-chose à voir avec la foi. Et que la capacité, le désir ou le besoin de croire ne garantissaient pas la vérité des croyances.

Mais qu’ils existaient. Que la spiritualité, appelons-la ainsi, existait. Et je me suis demandé pourquoi. Je n’ai jamais cessé de me demander pourquoi. Ma spiritualité consiste essentiellement à toujours me demander pourquoi. Pourquoi le concept de la transcendance? Pourquoi le sentiment de la transcendance, la sensation du sublime, l’émotion océanique qui nous pognent parfois? Pourquoi la poursuite obstinée du mystère?

Et alors, à quinze ans, j’ai rencontré la science-fiction, entre autres genres dits « populaires », mais c’est elle qui m’a durablement orientée.

« La science-fiction! protestera-t-on peut-être alors, mais ça n’a pas grand-chose à voir avec la spiritualité ni le mystère! » Ma longue pratique de cette littérature m’a appris le contraire, et je vais essayer de vous faire partager cette expérience.

***

Il y a science dans « science-fiction », ce terme repris de l’anglais avec un tiret qui en fait en français un mot-valise. Les valises, c’est pratique, on peut y mettre toutes sortes de choses. Mais quoi, exactement, en l’occurrence?

On décrit parfois la science-fiction comme étant une « littérature de l’imagination ». Toute fiction étant par définition issue de l’imagination et nourrie par elle, même lorsqu’elle feint d’être réaliste, c’est quelque peu… redondant. Tout change si on ajoute un mot à cette description : « littérature de l’imagination scientifique ». Et quiconque pousse de hauts cris – « L’imagination et la science, ça ne va pas ensemble! » – ignore le fonctionnement de la science. La science au singulier – le mouvement vers la connaissance qui s’exprime dans les sciences au pluriel – procède d’un questionnement, d’une curiosité sans limites à l’égard de ce qui est. La philosophie a été la première science, « la science naturelle »… On élabore des hypothèses et, à partir de ces prémisses, on met en place des expériences qui infirment ou confirment les hypothèses, en amènent d’autres, et ainsi de suite.

Mais pour émettre les hypothèses et échafauder les expériences, il faut de l’imagination : il faut être capable de sortir des cadres connus, et de passer par ce qui n’est pas, afin de mieux comprendre ce qui est – tous les grands scientifiques en sont d’accord (consultez votre Einstein le plus proche). Toutes les expériences scientifiques ne sont cependant pas concrètes : il y a aussi, il y a surtout, des expériences de pensée. (Et c’est justement ce qui rapproche encore aujourd’hui les sciences de la philosophie.)

 


L’expérience de pensée de la science-fiction est simple, et d’une puissance redoutable : « Et si c’était autrement? »


 

Et c’est un des points communs de la science-fiction et des sciences : les expériences de pensée. Celle de la science-fiction est simple, et d’une puissance redoutable : « Et si c’était autrement? » L’immense diversité du genre dérive ensuite de l’Autrement choisi. Il peut s’agir de n’importe quelle science d’aujourd’hui, qu’on va étirer grâce à l’élastique du « Et si », peut-être juste un peu, peut-être parfois… vers l’infini. La science-fiction peut aussi bien regarder par le gros bout du télescope, en s’envolant dans des thèmes cosmiques, que par son petit bout : on examinera au plus près le sujet humain tel qu’il peut être affecté par les technosciences. Les possibilités sont, sinon infinies, du moins extrêmement nombreuses. Et de surcroît constamment changeantes, car elles suivent l’évolution du monde présent et de la connaissance qu’on en a.

Car, il ne faut pas s’y tromper, il s’agit toujours de nous, ici et maintenant, explorés grâce à un détour par des avenirs imaginaires tout comme nous l’avons été et le sommes encore grâce aux détours par un passé plus ou moins réimaginé, dans les romans historiques.

Cependant, quelle que soit la dérive, le texte, pour être cohérent, doit se conformer à une loi similaire à celle qui régit la réflexion et l’imagination scientifiques : accepter et illustrer les conséquences logiques des hypothèses choisies. On aboutit ainsi à la création d’un véritable monde parallèle plus ou moins cohérent, et c’est en définitive dans le laboratoire du texte que se déroule l’expérience de pensée.

 


Comme rien de ce qui est humain ou non-humain ne lui est étranger, la question des croyances et celle de la spiritualité sont, directement ou indirectement, l’un des champs d’exploration de la science-fiction.


 

Ce monde parallèle, s’il doit être cohérent, ne peut l’être qu’à la manière d’une fiction : il ne peut être complet. C’est une expérience à trous. Ce n’est pas seulement l’imagination créatrice qui est mise à contribution lors de l’écriture, mais aussi l’imagination réceptrice, lors de la lecture. Le texte distribue des indices, des points de repère, des jalons que la lecture va enregistrer, consciemment ou non, et qui vont permettre de reconstituer dans les ellipses textuelles les structures du monde parallèle où se déroule le récit.

C’est ce qu’Umberto Eco a appelé les « encyclopédies » de lecteurs, et qu’on a qualifié de « xénoencyclopédies », des encyclopédies imaginaires de l’altérité, qui se constituent pendant et pour la lecture. Extraits de journaux et de livres fictifs, voire photographies, cartes, imitations de page web, tout un discours parallèle se tient ainsi dans le texte en conversation avec ses lecteurs. La lecture spécifique à la science-fiction est une lecture active, dynamique et généralement plus exigeante qu’on ne l’en crédite. Le monde d’aujourd’hui ne se prête guère à penser la différence et le changement, et c’est sans doute tout à l’honneur de la science-fiction d’ouvrir un espace à la liberté de les imaginer.

Et donc, comme rien de ce qui est humain ou non-humain ne lui est étranger, la question des croyances et celle de la spiritualité sont, directement ou indirectement, l’un des champs d’exploration de la science-fiction, que ce soit d’un point de vue biologique, social ou politique. Qu’en est-il des relations entre science(s) et religion(s)? Sommes-nous « câblés » pour croire? Pouvons-nous l’être par telle ou telle société manipulatrice? Et tant d’autres questions… Ce sont tous ces possibles que j’essaierai d’explorer avec vous dans les prochains articles de cette série.

Une réponse à

  1. Denis says:

    “Fascinant!” dirait Monsieur Spock. Heureux de vous découvrir, Madame, et de bientôt lire la suite de vos réflexions.

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